01/10/2012
DE LA POLICE MUNICIPALE À LA POLICE TERRITORIALE
« De la police municipale à la police territoriale : mieux assurer la tranquillité publique », tel est l’intitulé du rapport d’information n°782 réalisé par les sénateurs François Pillet (à droite) et René Vandierendonck (à gauche) au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. Enregistré le 26 septembre dernier, son contenu n’est connu que de quelques initiés. Toutefois, son titre indique son orientation : « De la police municipale à la police territoriale », et une question s’impose d’emblée : est-ce l’aboutissement d’une démarche engagée dix ans auparavant ?
Lors des états généraux des élus locaux, le 15 juin 2001, à Marseille, Christian Poncelet, alors président du Sénat, suggérait le passage de la décentralisation àune « République territoriale », affirmant à l’époque qu’« Il faut donner aux collectivités locales les instruments d’une véritable autonomie », c’est-à-dire leur donner de nouvelles compétences, un pouvoir réglementaire (afin « d’adapter la réglementation nationale aux réalités locales ») et consacrer leur autonomie fiscale. [1] En matière de sécurité, il constatait l’échec des contrats locaux de sécurité (CLS) : « les résultats des CLS ne sont pas satisfaisants. Je ne condamne pas cette initiative. Simplement, elle n’aboutit pas à un recul de l’insécurité et j’en tire les enseignements. Je ne comprends pas qu’après vingt ans de décentralisation on ne soit pas passé à une étape plus radicale en la matière. » Cette dernière consistait dans son esprit à « accorder aux maires la faculté de créer une "police territoriale de proximité" qui regrouperait, sous leur autorité, la police municipale, la police nationale et la gendarmerie. » [2] Pour justifier une telle évolution, il expliquait que le maire, « officier de police judiciaire, serait le coordonnateur de la force publique [coordonner les acteurs de la sécurité était, pourtant, déjà le principal objectif des contrats locaux de sécurité]. Parce que lui seul connaît les zones sensibles et parfois les délinquants [sic], nul n’est mieux placé que lui pour orienter l’action de la police […] afin de mieux répondre aux attentes de la population exaspérée devant la croissance de l’insécurité. »
Loin d’être novatrice, une telle initiative relevait en réalité davantage du retour vers le passé avec une résurgence des pratiques policières de la IIIe République. [3] Néanmoins, depuis la loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, le maire est devenu le « pivot » de la politique de prévention, dont il « coordonne la mise en œuvre ». Une loi inégalement inappliquée dans les faits. [4] Enfin, initiés par la gauche (et critiqués à ce titre par Christian Poncelet), les CLS ont été maintenus et étoffés par la droite en 2002 « d’une instance stratégique visant à diriger l’action publique locale en matière de sécurité : les Conseils locaux (ou Intercommunaux) de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD et CISPD) », avant d’être renforcés quatre ans plus tard avec les CLS de nouvelle génération. [5] On note aujourd’hui, non sans humour, que dans sa circulaire du 30 juillet 2012 relative aux premières zones de sécurité prioritaires (ZSP), Manuel Valls critique les CLSPD pour mieux les écarter des dispositifs à venir :
Même s’ils ont permis dans certaines collectivités la constitution de groupes de travail particulièrement dynamiques et créatifs, les CLSPD restent trop souvent un lieu d’échange sans réelle capacité décisionnelle. Ils souffrent du nombre et de la diversité de leurs membres [sic], qui rendent difficile un suivi opérationnel effectif et balaient souvent la problématique de l’insécurité dans toutes ses composantes sans identifier les priorités ou les objectifs à atteindre.
La cellule de coordination opérationnelle du partenariat souhaitée dans le cadre des ZSP ne peut donc être le CLSPD ou le CISPD...
Cela dit, le ministre de l’Intérieur n’a jamais caché son positionnement en faveur des polices municipales. Ainsi, déclarait-il en 2006 : « Je suis favorable à leur développement et leur généralisation sur tout le territoire, mais nous serons obligés de mieux définir leur place. » Il se distingue, toutefois, de la logique de Christian Poncelet : « Je crois que les élus doivent s'impliquer dans ce domaine [la sécurité] et assumer une part de responsabilité avec l'Etat. Mais le texte de Nicolas Sarkozy [qui aboutira à la loi du 5 mars 2007] organise une nouvelle défausse de l'Etat sur le maire en matière de sécurité ou de santé. Le maire doit garder son rôle de médiation et ne peut pas être transformé en shérif ! Il faut que les citoyens puissent bien percevoir quel est le rôle de chacun. Le maire doit être un acteur majeur des politiques partenariales de sécurité et de prévention, mais dans le strict respect de la séparation des pouvoirs et des compétences, sous l'autorité du préfet et du procureur de la République. » [6]
Six ans plus tard, alors que le député-maire d’Evry est le nouveau locataire de la place Beauvau (en attendant Matignon, voire l’Elysée ?), son opinion est partagée par les élus de terrain. Ainsi, Emilie Thérouin, élue écologiste, adjointe au maire d'Amiens en charge de la sécurité et de la prévention des risques, déclarait récemment dans une tribune publiée dans Le Monde :
La sécurité ne relève plus de la seule responsabilité de l'Etat. Les collectivités locales occupent une place centrale. Les élus locaux se retrouvent en première ligne, confrontés à la colère des victimes et à la demande croissante de sécurité de leurs administrés. Mais les communes concourent à la production de la sécurité en tant qu'aménageurs, opérateurs, gestionnaires de services publics et employeurs.
Ainsi, nous avons observé une implication réelle des villes, venant souvent pallier des carences étatiques, en finançant des polices municipales, des médiateurs, de la vidéosurveillance, etc. Le législateur est venu confirmer cette tendance en 2007 en érigeant le maire au centre de la prévention de la délinquance et en faisant du partenariat un incontournable.
Cependant il apparaît que l'Etat, d'une part, continue à se comporter comme donneur d'ordres alors que les communes financent les choix définis en hauts lieux – renforcement des prérogatives des policiers municipaux et promotion aveugle de la vidéosurveillance – et, d'autre part, qu'il se désinvestit avec l'application de la RGPP dans la police nationale et la gendarmerie. Or, une politique de prévention et de sécurité ne peut plus se concevoir uniquement à Paris. Pour autant, les élus locaux ne pourront obtenir des résultats seuls en dépit de leurs efforts.
En 2012, le président de la République [François Hollande] décide d'ériger l'éducation, la justice et la sécurité comme priorités du quinquennat. En matière de sécurité, la première mesure est l'instauration de zones de sécurité prioritaires. Ce dispositif marque le retour de l'Etat. Toutefois, nous ne devons pas retomber dans les errances du centralisme. Les élus locaux doivent occuper une place centrale dans la redéfinition de la politique de prévention et de sécurité. Etant entendu que les problèmes de sécurité concernent avant tout des habitants et des territoires, il convient d'organiser une gouvernance plus locale de la sécurité.
S'il n'est pas question de faire des maires des shérifs ou d'opter pour une décentralisation de la sécurité, il s'agit d'orienter l'action publique en fonction des besoins des habitants et de se reposer sur des innovations locales. Ainsi, les priorités pourraient être convenues entre les communes, le parquet et les chefs de service de police ou de gendarmerie. Grâce aux nouvelles stratégies territoriales, les politiques publiques concourraient à prévenir toutes les formes de délinquance, en réconciliant prévention, dissuasion, sanction et réinsertion. Aussi, bâtissons un vrai service public de médiation. [7]
La situation ayant considérablement évolué pour les polices municipales depuis la loi du 15 avril 1999 dite « loi Chevènement », l’édile écologiste insiste sur l’impérieuse nécessité d’une nouvelle loi-cadre ainsi que la création d’une « filière sécurité/prévention locale » au sein de la fonction publique territoriale. [8]
Dans son Rapport sur le rôle et le positionnement des polices municipales (décembre 2010), l’IGA (Inspection générale de l’administration) a d’ailleurs évoqué la création d’un « corps » de police municipale (page 32), notant que « dans ce domaine, si toutes les formations syndicales sont sensibles au besoin de reconnaissance des polices municipales, il y a, malgré tout, des degrés différents dans la volonté d’intégration. Le premier degré correspond, pour la majorité des syndicats, à la rédaction d’une doctrine nationale d’emploi en restant dans le cadre de la fonction publique territoriale. […] Enfin, une minorité milite pour la création d’une véritable police "territoriale" autonome proche des deux forces de sécurité actuelles ».
Parmi ceux-ci, le SIPM (Syndicat indépendant de la police municipale), qui s’est prononcé en juin 2010 en faveur de la police territoriale. Dans l’esprit du SIPM, la police territoriale doit être de préférence intercommunale avec des compétences judiciaires accrues, même si « les forces de police centralisées DOIVENT garder le monopole de la lutte contre les émeutes, le grand banditisme, la criminalité, les réseaux de trafic de stupéfiants et de proxénétisme, l'immigration clandestine, le renseignement et la lutte contre le terrorisme. » [9]Il souhaite parallèlement la création d’une quatrième Fonction publique de la sécurité (Actuellement, la Fonction publique est organisée en trois pôles : Fonction publique d’Etat, qui inclut la police et la gendarmerie nationales ; Fonction publique territoriale à laquelle sont rattachés les agents de police municipale, les gardes champêtres et les agents de surveillance de la voie publique ; Fonction publique hospitalière). [10] Celle-ci rassemblerait tous les personnels liés à la sécurité au sens large et serait supposée gommer « la multiplication des statuts auxquels sont assujettis les personnels relevant des corps concernés » (alors que les missions mais aussi les conditions de recrutement, les niveaux de qualification et de rémunération diffèrent largement) avec des passerelles entre les forces d’Etat et la police territoriale sur le modèle belge. Le SDPM (Syndicat de défense des policiers municipaux) appelle lui aussi à transformer la police municipale en police territoriale. D’ailleurs, il a travaillé assidûment avecJean-Paul Garraud, député UMP de la Gironde, secrétaire national de l'UMP délégué à la Justice et pilier de la Droite populaire, sur « la création et la généralisation des services de la police territoriale, avec intégration des policiers municipaux et gardes champêtres dans celle-ci » ; longtemps combattue par les gardes champêtres, cette mesure fait en vérité consensus dans le petit monde syndical de la police municipale. Dans cette perspective, il réclame sans surprise la généralisation des services de police municipale territoriale dans les communes ou services intercommunaux, un partage des rôles entre les forces de l'Etat et la police territoriale, un substantiel accroissement des compétences judiciaires, la généralisation de l’armement à feu car cette police « New Age » ne serait, bien évidemment, pas une police « sociale » ou uniquement préventive. [11]
Même si les syndicats dits « professionnels » (SIPM, SDPM, USPPM et UNAPM) ont été reçus par la mission sénatoriale le 13 mars dernier, il est peu vraisemblable qu’hormis la fusion des cadres d’emplois d’agent de police municipale et de garde champêtre – d’ores et déjà acquise puisqu’elle fait consensus – leurs idées aient été suivies par les sénateurs ; les mots du titre de leur rapport sont révélateurs : « mieux assurer la tranquillité publique » et non la sécurité publique. En revanche, il est fort probable que les rapporteurs se soient inspirés des recommandations émises par le préfet feu Jean Ambroggiani, des propositions de leur confrère, Claude Leteurtre, député (Nouveau Centre) du Calvados et auteur d'une proposition de loi sur le sujet en 2008, sans oublier les réflexions du Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU) et les conclusions du récent rapport du Conseil supérieur de la Fonction publique territoriale.
UNE NOTION POLYSÉMIQUE
Avant de poursuivre, il est nécessaire de définir la police territoriale, « une notion polysémique » comme le démontrent Tanguy Le Goff et Virginie Malochet :
Indiscutablement, la notion de police territoriale est dans l’air du temps. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur les récentes déclarations d’élus locaux et nationaux, quelle que soit leur couleur politique, ou de syndicalistes policiers, qu’ils soient nationaux ou municipaux : l’idée qu’il faut développer une police territoriale est au cœur de nombreux projets de réforme de la police. Néanmoins, selon les acteurs, leur positionnement institutionnel et les intérêts qu’ils défendent, la notion de police territoriale revêt des significations bien différentes. […]
Pour certains, la police territoriale s’entend dans un sens statutaire : elle renvoie à la structuration d’une filière propre au sein de la fonction publique territoriale. Cette filière a vocation à regrouper non seulement les 20 000 agents relevant des cadres d’emplois de la police municipale, mais aussi tous les autres agents territoriaux affectés à des missions de sécurité, tels que les 5 000 agents de surveillance de la voie publique (ASVP) et les opérateurs de vidéosurveillance, voire, dans une acceptation très large, l’ensemble des métiers locaux de la prévention/sécurité tels les agents locaux de médiation sociale et autres correspondants de nuit. Cette vision, portée par des associations professionnelles, parfois relayée par des parlementaires, s’inscrit dans une perspective décentralisatrice visant à renforcer la légitimité des pouvoirs locaux dans la gestion d’une police du quotidien.
Poussée jusqu’au bout, cette conception de la police territoriale pourrait, in fine, aboutir à la suppression des services étatiques de sécurité publique au profit des seuls services territoriaux. Autrement dit, un transfert de charges et de moyens s’opérerait en direction des communes ou des intercommunalités, à qui serait confiée la gestion exclusive de la police du quotidien. Que les choses soient claires, très rares sont aujourd’hui les partisans d’un tel scénario. […]
Pour d’autres, la « police territoriale » se définit dans une logique de déconcentration et non de décentralisation. Elle est synonyme d’une réorganisation de la police et de la gendarmerie nationales fondée sur un renforcement des pouvoirs des services déconcentrés. L’objectif est de rompre avec les travers d’une institution duale et hypercentralisée qui fixe des objectifs pour l’ensemble du territoire nationale, considérant que ce qui est applicable à Toulouse est valable à Amiens comme à Pouzioux La Jarrie… ce qui, dans la pratique, n’est évidemment pas le cas. A travers l’idée d’une police territoriale, il s’agit de donner une plus large autonomie aux représentants locaux des services policiers de l’Etat, afin qu’ils puissent se rapprocher des territoires, s’y ancrer et s’adapter à leurs spécificités. Voilà la conception guidant cette vision d’une police territoriale déconcentrée. […]
Dans une troisième acceptation, la notion de « police territoriale » sert à qualifier un certain type de politique de sécurité publique, indépendamment des spécificités statutaires et organisationnelles des services concernés. Elle renvoie à un modèle policier visant à réinscrire l’action dans le territoire pour se rapprocher de la population et mieux répondre aux problèmes locaux. En d’autres termes, elle est associée à ce qu’on désigne communément en France sous le label « police de proximité », traduction approximative de la notion anglo-saxonne de community policing. [12]
Les deux sociologues concluent que « quelle que soit l’acceptation donnée à la police territoriale, le maire est incontournable parce qu’il représente le lien avec la population. Plusieurs scénarii sur la place qu’il pourrait tenir sont envisageables. »
LA FUSION ACTÉE
En 2005, Bérengère Poletti, députée UMP des Ardennes, interrogeait le ministre de l’Intérieur sur le recrutement d'agents de catégorie C pour la filière police dans la Fonction publique territoriale. Constatant que « La catégorie C comprend deux cadres d'emplois dans la filière police : les agents de la police municipale et les gardes champêtres [dont] Les conditions de recrutement sont identiques et leurs fonctions sont quasiment identiques également », elle lui demandait s'il entendait « prendre des mesures visant à fondre ces deux cadres d'emplois et les fonctions exercées ». Nulle référence à une quelconque police territoriale à l’époque, la fusion n’était pas à l’heure du jour, mieux le ministère de l’Intérieur justifiait « l’existence de cadres d’emplois distincts ». [13]
Six ans plus tard, la députée ardennaise interpelle à nouveau le ministre de l’Intérieur à propos de « la création "d'un corps unique" de "police territoriale" » préconisée dans le rapport Ambroggiani, c’est-à-dire la fusion des cadres d’emplois d’agent de police municipale et de garde champêtre. La réponse ministérielle précise « En ce qui concerne la création d'un cadre d'emplois unique regroupant les agents de police municipale et les gardes champêtres, cette mesure recueille l'aval de l'ensemble des parties [organisations syndicales et employeurs territoriaux]. Elle nécessite toutefois, au préalable, l'adoption de mesures législatives puisque les missions de ces deux types d'agents relèvent jusqu'à présent de dispositions législatives spécifiques à chacun d'entre eux. Il est donc nécessaire d'harmoniser les textes en présence afin d'identifier les missions confiées aux fonctionnaires regroupés dans un même cadre d'emplois avant de mettre en œuvre la réforme statutaire. » [14]
Dans l’intervalle, en 2008, le député Nouveau Centre du Calvados, Claude Leteurtre, dépose une proposition de loi pour la « Reconnaissance de la police territoriale comme un corps à part entière » ; l’exposé des motifs n’est pas dénué d’intérêt :
La police territoriale n’existe pas à ce jour. Le seul terme utilisé pour désigner les fonctionnaires territoriaux exerçant des missions de sécurité publique est celui de « police municipale ». Ce terme est réducteur à plus d’un titre. Tout d’abord, il exclut de fait les gardes champêtres et les agents de surveillance de la voie publique (ASVP), car il est à la fois un terme générique dans son acception générale détaillée précédemment, mais il désigne aussi un corpus juridique (l’ensemble des pouvoirs de police dont dispose le maire) et un cadre d’emploi (celui des agents de police municipale). De plus, ce terme n’est plus adapté vu le développement de l’intercommunalité.
Le terme de police territoriale est exempt de ces reproches. Il ne désigne ni un cadre d’emploi, ni un corpus juridique, et permet de réunir, sans discrimination, l’ensemble des agents dans un corps unique. [15]
L’année suivante, suite à la publication du rapport Ambroggiani, le député du Calvados réitère la nécessité d’une loi pour « créer la nouvelle filière des polices territoriales pour rassembler les agents chargés dans les collectivités territoriales de missions de sécurité ». [16] Dans cette perspective, il définit quatre cadres d’emplois distincts mais toujours accessibles par voie de concours interne. [17] Il défend également une militarisation des grades : les chefs de service de police municipale deviendraient des « officiers de police territoriale » avec trois grades (sous-lieutenant, lieutenant et capitaine) tandis que les directeurs de police municipale, à la fois interface avec les partenaires institutionnels et conseillers des élus locaux en matière de sécurité, accèderaient au grade de « commandant de police territoriale ». Il promeut aussi une école nationale des polices territoriales (ENPT). Enfin, Claude Leteurtre se prononce pour la création d’un délégué interministériel à la police territoriale – comme il existe un délégué interministériel à la sécurité routière ou à la sécurité privée – et d’un organisme de contrôle et d’expertise spécifique : une Inspection générale des polices territoriales (IGPT).
Ce parlementaire normand s’est visiblement inspiré des propositions d’un groupe de travail informel constitué par Steve Richard, Cédric Renaud, Bernard Valezy et un anonyme directeur de police municipale. [18] Ceux-ci sont généralement connus des initiés. Le premier est à la fois chef de service de police municipale à Saran dans le Loiret et président de l’Observatoire national des polices municipales (ONPM). Le second est officier de gendarmerie et, reconnaissons-le, aficionado des gardes champêtres, puis des polices municipales, dont l’influence, bien que discrète, n’est nullement négligeable. [19] Le troisième est actuellement directeur des formations et de la recherche à l’école nationale supérieure de la police (ENSP) à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Tous sont de chauds partisans de la police territoriale. « Mobilisons-nous pour la police territoriale ! », lançait ainsi Steve Richard l’an dernier. [20] Deux membres de l’ONPM, Yann-Cédric Quéro et Alain Tortay, voient dans la police territoriale « une validation du principe d’une police de proximité décentralisée » et estiment qu’« en créant la police territoriale et en l’intronisant comme police de proximité légitime, l’État transmet une partie de sa compétence policière. » Ces missionnaires de la police territoriale ont recours à tous les arguties pour défendre et faire avancer leur cause. Ainsi, ont-ils confronté le rapport du préfet Jean Ambroggiani et celui de la Délégation à la prospective et à la stratégie (DPS), tous deux dédiés aux polices municipales et publiés simultanément au mois de mars 2009 !
La police territoriale n’est pas constituée que des seuls APJA [agents de police judiciaire adjoint en vertu de l’article 21 du Code de procédure pénale], mais de tous les fonctionnaires territoriaux œuvrant dans le champ de la sécurité locale. En présentant également les effectifs d’Agents de Surveillance de la Voie Publique (ASVP) et de gardes champêtres (GC), la filière sécurité locale ne représente pas 18.000 agents de PM, mais 40.000 agents de police territoriale ; ce qui en terme de visibilité est assez différent.
Pour le préfet Ambroggiani les ASVP sont 3.000, là où ils sont 18.000 pour la DPS, ce qui de notre point de vue semble plus proche de la réalité. Les esprits critiques auront sans doute raison de se laisser aller à quelques commentaires quant à la différence des chiffres. Il ressort cependant de la présentation de la DPS que le nombre d’ASVP est sensiblement le même que celui des agents de PM, ce qui a le mérite d’être dit (DPS, 2009, p.4). Le rapport Ambroggiani propose de leur donner une tenue, de définir leurs missions afin de couper court aux mauvaises pratiques, de les former au CNFPT et d’organiser un glissement vers l’APJA. Dans un premier temps, il pourrait être utile de leur donner un statut, dans la mesure où les ASVP sont tantôt agents de la voierie, tantôt agents administratifs… [21]
Selon le dernier recensement effectué par le ministère de l'Intérieur, au premier semestre 2011, le nombre d'ASVP est estimé à 5 500. D’ailleurs, dans son rapport sur l’organisation et la gestion des forces de sécurité publique (juillet 2011), la Cour des comptes note à propos des effectifs territoriaux : « Si l’on ajoute les gardes-champêtres (environ 1 450 agents) relevant également de la filière "police municipale", dont la mission est loin d’être négligeable, notamment en matière environnementale, les agents de surveillance de la voie publique (environ 5 180 ASVP), qui assurent notamment des missions de contrôle du stationnement, et les agents de surveillance de Paris (2 330 ASP), les services de police municipale représentent environ 28 300 agents, soit 11 % des effectifs cumulés, de la police et de gendarmerie nationales » (page 108). Un total bien inférieur aux 40 000 agents avancés par la DPS, surtout qu’il est peu probable que les ASP soient comptabilisés au sein de la future police territoriale en raison du statut particulier de la capitale.
Des nuances s’imposent également. Ainsi, Cédric Renaud évoque – à juste titre – les polices territoriales plutôt que la police territoriale : « l’emploi du pluriel permet de refléter ces polices dans leurs diversités : armement, missions, équipement, uniforme, etc. Il ne s’agit pas d’un corps homogène, mais d’un corps riche de ces différences. » [22]
Enfin, le Conseil supérieur de la Fonction publique territoriale (CSFPT) penche aussi en faveur de la police territoriale. Le 5 septembre 2012, il a, en effet, adopté à une large majorité (26 voix favorables et 8 abstentions) un rapport attendu sur l’évolution statutaire et la formation de la filière police municipale. Il approuve ainsi la création d’un « corps unique » de « police territoriale » réunissant policiers municipaux et gardes champêtres :
Selon le président du CSFPT, Philippe Laurent, le rapport présenté le 5 septembre « se propose de faire des propositions qui ont pour objectif d’améliorer le fonctionnement du service public de sécurité et la situation des agents de cette filière ». Concernant le volet statutaire, les auteurs du rapport approuvent la « fusion des gardes champêtres avec les policiers municipaux mais pas la création de deux spécialités qui pourrait créer des problèmes de mobilité ».
Il préconise notamment un « nécessaire » changement d’appellation des chefs de service de catégorie B afin d’éviter « le risque de confusion entre le vrai chef de service (catégorie A) et le chef de service de police municipale (un des trois grades du cadre d’emplois de catégorie B) ». Concernant les directeurs de police municipale (catégorie A), le rapport revient sur la question du seuil des 40 agents nécessaires pour créer un cadre d’emplois de directeur et suggère de modifier les conditions de nomination « afin de permettre davantage de nominations ». Une proposition entérinée en mars dernier par la Commission consultative des polices municipales. Tout comme celle d’attribuer obligatoirement l’indemnité spéciale de fonction.
Autre chantier abordé : la clarification du statut des agents de surveillance de la voie publique. A cet effet, les membres du CSFPT proposent plusieurs pistes de réflexion : intégration des agents dans la filière technique, création d’un nouveau cadre d’emplois ou intégration dans la police municipale. Le rapport indique que l’Association des maires de France plaide en faveur d’un statu quo. [23]
Force est donc de constater que le lobbying en faveur de la fusion a été intense au cours de la décennie écoulée, au point de s’imposer comme une évidence. Nul doute alors que la mission sénatoriale avalisera à nouveau cette disposition. D’ailleurs, certains n’ont pas attendu ce nouveau rapport pour évoluer en ce sens. Ainsi l’association des policiers municipaux responsables de service est-elle devenue en 2010 l’Association des fonctionnaires de police territoriale (AFPT). De son côté, l’Observatoire national des polices municipales (ONPM) a lancé ses premières rencontres nationales des polices territoriales le 13 octobre 2011 à La Chapelle-Saint-Mesmin dans le Loiret, une manifestation renouvelée cette année à Nice, le 11 octobre prochain.
Notre réflexion s’arrêtait sur ce point. Nous nous apprêtions à émettre des hypothèses sur le contenu du rapport sénatorial lorsque La Gazette des communes a publié en exclusivité les conclusions de ce dernier. Dès lors, supputer devenait inutile.
Remarquons, néanmoins, en conclusion qu’une direction centrale de la police territoriale a été créée par le décret n°92-152 du 20 février 1992 au sein de la direction générale de la police nationale ; les attributions de la direction centrale des polices urbaines, de la direction centrale des renseignements généraux et du service central de la police de l'air et des frontières devaient lui être dévolues. Victime des aléas politiques (seconde cohabitation), elle fut abrogée l’année suivante par le décret n°93-1030 du 31 août 1993.
[1] Jacques Paquier et Xavier Brivet, « Christian Poncelet : "Il faut donner aux collectivités locales les instruments d’une véritable autonomie" » in La Gazette des communes n°1604 du 2 juillet 2001, page 20.
[2] Christian Poncelet reprend alors, sans le dire, la proposition lancée par André Santini, député UDF des Hauts-de-Seine, qui avait déposé quelques mois plutôt une proposition de loi en ce sens :
Proposition de loi n°2771 du 29 novembre 2000 visant à placer sous l'autorité du maire une police territoriale regroupant les effectifs des unités à vocation territoriale de la police nationale et de la police municipale
http://www.assemblee-nationale.fr/11/propositions/pion277...
[3] Laurent Opsomer, « Brève histoire de la police » in Double Neuf, 17 juin 2011.
http://doubleneuf.nordblogs.com/archive/2011/06/17/breve-histoire-de-la-police.html
[4] Michel Tendil, « Loi du 5 mars 2007 : un verre à moitié vide ou à moitié plein ? » in Localtis.info, lundi 13 février 2012.
[6] Jacky Durand, « Manuel Valls : "Le maire ne peut pas être un shérif" » in Libération, 26 novembre 2006.
http://www.liberation.fr/evenement/010167026-le-maire-ne-peut-pas-etre-un-sherif
[7] « Emilie Thérouin : "Associons les communes à la politiques de sécurité" » in Le Monde, 30 août 2012.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/08/30/associons-...
[8] Emilie Thérouin, « Stratégie territoriale et polices : quelle doctrine d’emploi pour les polices municipales ? », 27 juin 2012.
[9] SIPM-FPIP, « POLICE TERRITORIALE : il faut la mettre en place maintenant », mercredi 9 juin 2010.
[10] Dans leur Rapport sur le rôle et le positionnement des polices municipales (décembre 2010), les inspecteurs généraux notaient que « Les repyramidages successifs des corps B et C de la police nationale ont engendré un vide au bas de la pyramide indiciaire, la dernière mesure dite de "l’équivalence catégorie B" pour le haut de la catégorie C des gradés et gardiens accentuant encore ce mouvement. L’élévation des niveaux de qualification et de rémunération dans la police tend ainsi, depuis quelques années, à créer un effet d’aspiration au bas de la pyramide en relançant à intervalles réguliers l’hypothèse de création d’un "quatrième corps" qu’il conviendrait de constituer au sein de la police pour les tâches d’exécution. La question s’était posée à plusieurs reprises dans le cadre de l’avenir professionnel des ADS [adjoints de sécurité] : faut-il créer un nouveau corps, de catégorie C, ouvert en priorité aux anciens ADS, qui aurait vocation à assurer les tâches d’exécution ? La RGPP et le contexte budgétaire ont tranché par la négative, mais la perspective d’un statut national des policiers municipaux, dérogatoire de la FPT et proche de celui de la police, tend à renouveler cette interrogation : et si la catégorie C des agents de police municipale quittait le giron de la FPT pour devenir le "quatrième corps" de la police nationale ? » (pages 40 et 41)
[11] SDPM, « La police municipale transformée en police territoriale ? » in Analyse sur la sécurité urbaine, 12 juin 2011.
[12] Tanguy Le Goff et Virginie Malochet, « Police territoriale, simple slogan ou véritable réforme ? » in Espaces Publics, note n°4, janvier 2012.
http://www.espacespublics.fr/PDF/doc/EP_NOTE_19_JAN_2011_...
[13] Question n°74009 de Mme Bérengère Poletti, députée UMP des Ardennes, 20 septembre 2005.
http://questions.assemblee-nationale.fr/q12/12-74009QE.htm
[14] Question n°98534 de Mme Bérengère Poletti, députée UMP des Ardennes, 25 janvier 2011.
http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-98534QE.htm
[15] Proposition de loi n°856 du 7 mai 2008 portant organisation et modernisation de la police territoriale.
http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion0856.asp
[16] Claude Leteurtre, « Polices territoriales : soyons concrets », samedi 18 avril 2009.
http://www.claudeleteurtre.net/index.php?/archives/257-Polices-territoriales-soyons-concrets.html
[17] Selon Claude Leteurtre, le premier et principal cadre d’emplois regrouperait les agents de police municipale et gardes champêtres, désormais dénommés agents de police territoriale (APT). La formation de ces derniers s’alignerait sur celle des agents de police municipale, soit six mois de formation initiale (contre trois pour les gardes champêtres et douze pour les gardiens de la paix), plus l’obligation d’une formation continue tout au long de leur carrière. À l’échelon supérieur, les cadres d’emplois d’encadrement et de direction bénéficient d’une nouvelle dénomination, plus « musclée ». La nouveauté vient du dernier cadre d’emplois : les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) deviendraient agents de surveillance de police territoriale (ASPT) et seraient recrutés sans condition de diplôme sur la base de contrat d’une durée de 5 ans maximum avec possibilité de passer le concours d'APT après une validation des acquis. Le député du Calvados s’inspire visiblement du dispositif des adjoints de sécurité (ADS) au sein de la police nationale. Il vise donc les agents contractuels (selon la Cour des comptes, 20 % d’entre des ASVP sont recrutés sur des contrats à durée déterminée). Toutefois, quid des ASVP titulaires mais appartenant aux cadres d’emplois techniques ou administratifs ? Enfin, comme les ASPT relèvent eux-aussi de la catégorie C, n’y a-t-il pas un risque de concurrence vis-à-vis des APT puisque moins chers et vite disponibles en l’absence de formation préalable ?
[18] Cédric Renaud, « Groupe de travail sur la création d’une police territoriale », absence de date.
http://www.cedricrenaud.fr.gd/Groupe-de-travail--g-Police-Territoriale-g-.htm
[19] Les propos de Claude Leteutre sont très proches de ceux exposés par notre officier de gendarmerie sur son blog :
Cédric Renaud, « Police municipale, garde champêtre, ASVP : vive les polices territoriales ! » in Onpm info n°9 de janvier/février 2009, pages 12 et 13.
http://www.cedricrenaud.fr.gd/Vive-les-polices-territoriales-ar-.htm
Cédric Renaud, « La nécessaire création d’une coordination au niveau national des polices territoriales : le délégué interministériel ! » in Onpm.info n°8 de juillet-août 2008, pages 10 à 12.
http://www.cedricrenaud.fr.gd/Cr-e2-ation-d-h-une-coordination-nationale.htm
[20] Hervé Jouanneau, « Steve Richard : "Mobilisons-nous pour la police territoriale" » in La Gazette des communes, 25 octobre 2011.
http://www.lagazettedescommunes.com/80657/police-municipale-quelle-place-dans-la-chaine-de-securite/
[21] Yann-Cédric Quéro et Alain Tortay, « La police territoriale, Ambroggiani et la DPS… » in Onpm info n°11 de février/mars 2010, pages 6 à 16.
[22] Cédric Renaud, « Police municipale, garde champêtre, ASVP : vive les polices territoriales ! » in Onpm info n°9 de janvier/février 2009, pages 12 et 13.
http://www.cedricrenaud.fr.gd/Vive-les-polices-territoriales-ar-.htm
[23] Hervé Jouanneau, « police municipale : le CSFPT préconise une réforme » in La Gazette des communes, 7 septembre 2012.
http://www.lagazettedescommunes.com/128084/police-municipale-le-csfpt-preconise-une-reforme-2/
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24/09/2012
CRISE. « M. LE PRÉSIDENT, VOICI CE QU’IL FAUT FAIRE… »
Comme dit le dicton, si on vous donne un bon conseil, refilez-le vite à un autre !
13:07 Publié dans Actualités, Politique | Lien permanent | Tags : françois hollande, crise, l'express, conseil, politique, économique, 2012, ps, parti socialiste, presse, inefficacité
27/08/2012
NICE : ZONE DE SÉCURITÉ… PRIVÉE 1-2
« La sécurité privée empiète de plus en plus sur la police en Europe », écrivait la journaliste Isabelle Mandraud dans l’édition du Monde du 16 décembre 2008, suite à l’ouverture, la veille, du premier sommet européen de la sécurité privée…au ministère de l'Intérieur - tout un symbole. Dans la préface d'un livre blanc rédigé pour l'occasion, Nicolas Sarkozy, alors chef de l'Etat, exhortait d’ailleurs à « coproduire des solutions public-privé de sécurité ». Défait le 6 mai dernier, Nicolas Sarkozy n’est plus président de la République mais ses fidèles poursuivent son œuvre au travers d’une association Les amis de Nicolas Sarkozy. [1]
Tous rêvent au retour de leur messie dans le jeu politique. [2] En attendant ce jour béni, ces dévots mènent une active guérilla contre son successeur socialiste accusé de tous les maux alors qu’il n’est au pouvoir que depuis cent jours. Ainsi, selon Christian Estrosi, député-maire de Nice, l’augmentation des vols avec violence dans sa cité est le « fruit de la politique irresponsable des socialistes ». [3] Comme le souligne pertinemment Thierry de Cabarrus, « Le pire, c'est que le maire de Nice n'en est pas à un paradoxe près. Car c'est juste après avoir développé avec force détails son action dans le domaine de la sécurité (par exemple la télésurveillance dans les quartiers "à nulle autre pareille") qu'il reconnaît la hausse de la délinquance à Nice. » [4] Versant délibérément dans l’outrance, Christian Estrosi dénonce ensuite le « clientélisme du gouvernement socialiste » pour l’attribution des quinze premières zones de sécurité prioritaires (ZSP) et annonce sa décision unilatérale de classer – sans aucune concertation – cinq quartiers de Nice en ZSP en ayant recours à des vigiles. La journaliste Mathilde Munos l’interroge alors sur le bien-fondé de son projet : « Vous allez financer des sociétés privées. Pourquoi ne pas renforcer la police municipale plutôt ? » La réponse du député-maire de Nice est surprenante, pour ne pas dire déconcertante : « Parce que dans la répartition des tâches entre l’Etat et la commune, l’Etat a décrété que ces zones urbaines sensibles étaient sous la compétence de l’Etat et la police municipale n’est pas habilitée de par la loi en matière d’ordre public à intervenir. Ce qui est une très bonne chose, je suis pour un Etat régalien. » N’est-ce pas là le comble du cynisme : s’ériger en défenseur d’un Etat régalien pour justifier le recours à des vigiles afin d’assurer la sécurité publique ? Le même affirmait pourtant dix ans auparavant que « l’État régalien est devenu un État régulateur, orientation confirmée par le colloque de Villepinte fin 1997, les contrats locaux de sécurité intégrant les services de sécurité privée parmi les interlocuteurs du partenariat pour la sécurité. » [5] Néanmoins, lors de son interview à France Info, il souligne la satisfaction de la population du premier quartier concerné par son initiative, citant notamment le témoignage abrupt d’un boulanger, Mohamed Id Moussa : « On appelle la police, elle ne vient pas ! » [6] Cependant, Christian Estrosi se garde bien de rapporter la suite de la réaction de cet habitant des Moulins et ne réalise visiblement pas que cette assertion sonne comme un désaveu cinglant de sa politique sécuritaire, notamment sa police municipale qu’il a pourtant portée au pinacle. [7]
Face à tant de mauvaise foi, quelques précisions s’imposent.
Christian Estrosi dénonce aujourd’hui une supposée incompétence de la gauche en matière de sécurité comme il fustigeait le bilan de celle-ci… en 2002 pour défendre « une politique de rupture en matière de lutte contre l'insécurité » :
Trop longtemps, en effet, le précédent Gouvernement [celui de Lionel Jospin] a hésité entre une justification sociale de la délinquance et la mise en œuvre de mesures timides de lutte contre l'insécurité. Ce débat idéologique, nourri par une vision selon laquelle il serait plus opportun de s'attaquer aux causes de la délinquance qu'à ses manifestations, a conduit à une croissance extrêmement forte du nombre de crimes et délits sur le territoire national. Dans ce contexte, pour tous ceux qui s'étaient résignés à voir dans l'insécurité une fatalité, il était devenu inutile et inefficace de prendre en compte tant le traitement des victimes que la répression de la délinquance.
Ces temps sont heureusement révolus : l'heure n'est plus à la recherche d'une explication sociale de la délinquance mais à celle de l'action. En matière de sécurité, en effet, les actes comptent davantage que les paroles. Sous l'impulsion du ministre de l'intérieur [Nicolas Sarkozy], une politique résolue de rétablissement de l'autorité de l'État et du droit de chaque citoyen à vivre en paix a été engagée. [8]
Dix ans plus tard, pour mesurer le succès de l’entreprise, citons la récurrence des violences urbaines avec un point d’orgue à l’occasion des émeutes de l’automne 2005 (à ce jour, aucun pays n’a connu un tel phénomène de violence, touchant un si grand nombre de communes, sur une telle durée) [9] ou la dégradation de l’image de la police, conséquence du délitement des relations de celle-ci avec la population (résultat de la politique du chiffre prônée pendant une décennie ?). [10]
Nice ne figurant pas dans la liste des quinze premières ZSP (zones de sécurité prioritaires), « Le sang de Christian Estrosi n’a alors fait qu’un tour » selon Nice-Matin et l’élu azuréen dénonce une « décision technocratique, reposant sur une méthode clientéliste qui consiste à servir ses amis socialistes ». Las, ce dénigrement n’est nullement justifié puisque contraire à la réalité. Des villes dirigées par la droite telles que Vauvert, Méru, Marseille, Mantes-la-Jolie ou Corbeil-Essonnes sont ainsi incluses dans le nouveau dispositif alors que des localités socialistes comme Toulouse, pourtant symbolique, en sont exclues au grand dam de l’opposition UMP locale. [11] Cette évidence n’empêche évidemment pas les critiques puisqu’« il y a des malheureux suite à ces choix. Parmi eux, ceux qui n’en sont pas et demandent à faire partie de cette liste. Et ceux qui sont dans les ZSP et qui s’en plaignent ». [12] Comme le souligne Le Figaro, « la grogne monte chez les laissés-pour-compte » et Christian Estrosi sonne la charge contre ce « saupoudrage ». Or, la circulaire du 30 juillet 2012 relative à la mise en œuvre des ZSP spécifie au contraire que « Pour éviter une dispersion des ressources, ces actions devront être concentrées sur un nombre restreint d’objectifs, clairement identifiés » (page 2). En outre,comment aurait réagi l’actuelle opposition si l’expérience des zones de sécurité prioritaires avait été étendue d’emblée à l’ensemble du territoire national et exclusivement définie depuis Paris ? La circulaire ministérielle précise en page 6 que les quinze premières zones de sécurité prioritaires « ont été prédéfinies, exceptionnellement au niveau central, en fonction de critères objectifs de gravité déterminé par la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale. Il appartient maintenant aux préfets concernés de procéder, en lien étroit avec les procureurs de la République et les acteurs locaux, aux ajustements nécessaires en termes de périmètres, d’objectifs et d’indicateurs.
Au-delà de ces 15 premières zones, je souhaite que vous ayez un rôle déterminant dans la définition des suivantes [dans son allocution du 31 juillet face aux préfets, Manuel Valls précise qu’"Entre 50 et 60 ZSP doivent être déployées, en l’espace d’un an, à compter de septembre [et] s’appuieront sur l’expérience acquise lors de cette première phase qui doit être engagée dès la rentrée"].
Cette phase de définition devra être menée au plus près du terrain, dans le souci permanent de prendre en compte les problématiques locales d’insécurité se posant avec le plus d’acuité. »
Source : Le Figaro.
Mais l’édile niçois persiste et se scandalise : « M. Valls a choisi comme sites hautement prioritaires Méru, Vauvert, Saint-Gilles, Lunel, Mauguio, des villages qui figurent bel et bien aux côtés de véritables zones sensibles comme les Tarterêts ou le Val Fourré ». [13] On peut effectivement s’étonner, voire contester la pertinence des sites retenus. La circulaire susvisée indique, toutefois, que « De façon générale, la cartographie des ZSP ne saurait se calquer sur le zonage actuel de la politique de la ville, qui comprend environ 750 quartiers prioritaires. Bien évidemment, il n’y a aucun obstacle à ce que le ressort d’une ZSP coïncide avec celui d’une ZUS ou d’un quartier CUCS ; pour autant, les critères de la politique de la ville ne doivent pas constituer le seul argument décisif pour la création d’une ZSP » (page 6). Le Figaro est encore plus explicite : « À l'occasion de cette première sélection, Beauvau a voulu établir un échantillon représentatif des diverses formes de délinquance existant en France. Cela va de la cité sensible de banlieue tombée sous la coupe de bandes au secteur rural confronté aux cambriolages. » Il poursuit en ces termes :
Méru, Vauvert, Saint-Gilles, Lunel, Mauguio… Autant de villes qui ne font guère parler d'elles dans la rubrique faits divers. Pourtant ces bourgades figurent bel et bien aujourd'hui parmi les quinze zones de sécurité prioritaires au côté des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes, et du Val-Fourré de Mantes-la-Jolie. Bien qu'épargnés par une délinquance explosive, ces lieux qui se situent en milieu rural ou périurbain, comme Méru (Oise), sont aujourd'hui considérés comme des zones sensibles. Ces coins tranquilles il y a encore plusieurs années sont en effet devenus des secteurs minés par une certaine forme d'insécurité. Avec, au premier chef, l'augmentation constante des cambriolages. Les résidences principales qui se développent dans ces communes (52 lotissements à Saint-Gilles, dans le Gard, près de Nîmes), en raison des loyers trop élevés dans les villes voisines importantes, ont rendu ces secteurs attrayants pour le voleur. Derrière la porte à fracturer, il y a dorénavant de la richesse à subtiliser… « Si on ajoute à ces cambriolages des petits trafics de drogue locaux, on obtient un phénomène symptomatique de ce qui se passe en zone gendarmerie », indique un spécialiste qui, à propos de Méru, précise : « Cette ville connaît un phénomène de cité. On y relève incivilités, trafics de drogue, économie souterraine et cambriolages. » [14]
Doit-on conclure que Christian Estrosi ne lit plus le quotidien de Serge Dassault ? Ce dernier fait pourtant largement écho à ses lamentations : « À Nice, ce sont les quartiers des Moulins ou de l'Ariane, régulièrement cités à la chronique des violences urbaines, qui se voient privés d'un coup de pouce sécuritaire de la part de l'Intérieur. Et la police municipale niçoise, pourtant très offensive, ne peut rien faire. La ville a signé, sous Sarkozy, une "convention de coordination" avec le préfet, qui prévoit que la police nationale a la charge exclusive de ces secteurs exposés. » C’est la reconnaissance que Nice est une ville clivée en plusieurs territoires : « le centre-ville et les quartiers résidentiels pour la municipale, et les quartiers réputés plus difficiles pour la nationale. » À Nice comme ailleurs, « La prolifération des polices municipales pose de vraies questions d’égalité des citoyens devant la sécurité ». [15]
Cet aveu d’abandon est d’autant plus pathétique qu’il émane du président de la commission consultative des polices municipales. Or, en tant que maire, il ne peut ignorer qu’il « concourt par son pouvoir de police à l'exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance » (article L132-1 du Code de la sécurité intérieure) et « anime, sur le territoire de la commune, la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en œuvre » (article L132-4), présidant le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. De même, les buts de la police municipale, énoncés à l’article L.511-1 du Code précité, ne sont-ils pas le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ? Les agents de police municipale n’exercent-ils pas leurs fonctions sur le territoire communal dans les conditions prévues aux articles 21 et 73 du Code de procédure pénale ? Le décret n°2012-2 du 2 janvier 2012 relatif aux conventions types de coordination en matière de police municipale ne spécifie-t-il pas que « La police municipale et les forces de sécurité de l'Etat ont vocation, dans le respect de leurs compétences respectives, à intervenir sur la totalité du territoire de la commune » ? [16] Seule restriction : « En aucun cas il ne peut être confié à la police municipale de mission de maintien de l'ordre. » Pourtant, en décembre 2010, dans leur rapport sur le rôle et le positionnement des polices municipales, les inspecteurs généraux notaient qu’« À Nice par exemple, la mission a pu constater que des casques et des boucliers étaient stockés dans le coffre de certains véhicules » (page 11). D’ailleurs, depuis le décret n°2010-544 du 26 mai 2010, les agents niçois peuvent à nouveau vous électrocuter avec un pistolet à impulsions électriques, plus connu sous le nom de Taser. Ajoutez-y le flashball, le tonfa, le gaz lacrymogène et autre gel poivre, et le policier municipal de Nice dispose de la panoplie complète du parfait policier anti-émeute ! [17]
Source : Le Point.
Pour justifier son impuissance, le député-maire rejette la faute sur autrui et fait diversion : « Puisque l'État persiste à nous refuser des effectifs supplémentaires et que mes municipaux ne peuvent aller renforcer le dispositif, je vais créer ma propre zone de sécurité prioritaire ». Oublie-t-il vraiment que la cité azuréenne a bénéficié des prévenances sécuritaires sous les deux précédents quinquennats, donc de cette partialité qu’il dénonce aujourd’hui ? Finalement, comme dit le proverbe, il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
[1] Christophe Greuet, « "Les Amis de Nicolas Sarkozy", arme secrète d’Estrosi pour conquérir l’UMP » in Le Midi Libre, 20 août 2012.
http://www.midilibre.fr/2012/08/20/les-amis-de-nicolas-sa...
[2] V.V., « Les "amis" de sarkozy rêvent de son retour » in Le JDD, 30 mai 2012.
http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Les-amis-de-Sarko...
[3] Mathilde Munos, « Christian Estrosi : favoriser un "livret d’épargne industrie" plutôt que le livret A » in France info, jeudi 23 août à 8 h 15.
[4] Thierry de Cabarrus, « UMP : la démagogie sécuritaire de Christian Estrosi, son seul moyen d’exister ? » in Le Plus du Nouvel Observateur, 23 août 2012.
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/613618-ump-la-de...
[5] Rapport n°508 du 18 décembre 2002 fait par Christian Estrosi sur le projet de loi pour lasécurité intérieure, 2e partie, page 34.
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r0508.asp
[6] Coïncidence, on retrouve le même jour ces témoignages dans les colonnes du quotidien local Nice-Matin.
Lionel Paoli, « Des agents de sécurité privés aux Moulins : Vous croyez que ça va tout résoudre ? » in Nice-Matin, jeudi 23 août 2012.
[7] Laurent Opsomer, « Police municipale de Nice » in Double Neuf, 3 juin 2011.
[8] Rapport n°508 du 18 décembre 2002 fait par Christian Estrosi sur le projet de loi pour lasécurité intérieure.
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r0508.asp
[9] « Dossier : Sarkozy contre "la racaille", le bilan » in Marianne, dimanche 22 janvier 2012.
http://www.marianne2.fr/Dossier-Sarkozy-contre-la-racaille--le-bilan_a214638.html
[10] Laurent Mucchielli, « L’image de la police continue de se dégrader en France » in Vous avez dit sécurité ?, 5 juillet 2012.
http://insecurite.blog.lemonde.fr/2012/07/05/limage-de-la-police-continue-de-se-degrader-en-france/
[11] « Pour l’UMP locale, après l’affaire Merah, la ville doit faire partie des premières ZSP » in La Dépêche du Midi, 6 août 2012.
[12] Hervé Jouanneau, « Zones de sécurité prioritaires : la liste des villes retenues, la réaction des élus » in La Gazette des communes, 6 août 2012.
Ivan Valerio, « Zones de sécurité prioritaire : les villes divisées » in Le Lab, 7 août 2012.
http://lelab.europe1.fr/t/zones-de-securite-prioritaire-les-villes-divisees-4221
[13] Jean-Marc Leclerc, « Les zones de sécurité de Valls contestées » in Le Figaro, 24 août 2012.
[14] Angélique Négroni, « Zones de sécurité prioritaires : le difficile pari de Manuel Valls » in Le Figaro, 6 août 2012.
[15] « Polices municipales. Et urne de plus » in Les dossiers du Canard enchaîné n°71, Que fait la police ?, avril 1999, page 74.
[16] En tant que président de la commission consultative des polices municipales, Christian Estrosi s’était félicité dans un communiqué « de ces premières avancées », assurant que ce décret « est une première étape dans le renforcement de l'action des polices municipales ». Cette nouvelle convention de coordination vise, en effet, une coopération opérationnelle renforcée entre la police municipale de Nice, par exemple, et les forces de sécurité de l’État (article 15). D’ailleurs, l’article 11 prévoit que « Le responsable des forces de sécurité de l'Etat et le responsable de la police municipale peuvent décider que des missions pourront être effectuées en commun sous l'autorité fonctionnelle du responsable des forces de sécurité de l'Etat, ou de son représentant. Le maire en est systématiquement informé. » L’article 16 précise qu’« En conséquence, les forces de sécurité de l'Etat et la police municipale amplifient leur coopération dans les domaines [comme] la vidéoprotection par la rédaction des modalités d'interventions consécutives à la saisine des forces de sécurité intérieure par un centre de supervision urbaine et d'accès aux images [ou] la prévention des violences urbaines et de la coordination des actions en situation de crise. » Enfin, au vu de l’article 17, le maire peut « renforcer l'action de la police municipale par les moyens suivants » : brigade cynophile, brigade à cheval…
Ce décret répond aux vœux d’une poignée de shérifs, cette minorité de maires répressifs auxquels les inspecteurs généraux font allusion à plusieurs reprises. Ils évoquent ainsi ces élus qui affichent « une volonté d’accroître le domaine de compétence de leur police municipale » (page 23) ou lorsqu’ils notent qu’« À l’exception de quelques maires du Sud-Est, [les édiles] ne sont pas demandeurs d’un élargissement supplémentaire des compétences judiciaires des policiers municipaux, position exprimée aussi par les administrations centrales consultées par la mission » (page 42). D’ailleurs, est-ce un hasard s’ils précisent « que les cas de mise en œuvre des nouvelles conventions ne concerneront qu’un nombre limité de communes parmi celles qui avaient signé une convention de coordination de première génération » (page 46) ?
[17] Ségolène de Larquier, « À Nice, Christian Estrosi chouchoute ses policiers municipaux » in Le Point, 31 mai 2010.
http://www.lepoint.fr/societe/a-nice-christian-estrosi-ch...
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