21/06/2021
MONTESQUIEU, RÉVEILLE-TOI !
« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », écrit Montesquieu dans L’esprit des lois (1748) pour justifier la nécessité de la séparation des pouvoirs, socle de la démocratie.¹ Il distingue trois pouvoirs : le pouvoir de voter la loi (pouvoir législatif représenté par le Parlement, composé dans notre pays de l’Assemblée nationale et du Sénat), le pouvoir d'exécuter les lois (pouvoir exécutif incarnée par le président de la République et le gouvernement) et le pouvoir de rendre la justice (pouvoir judiciaire avec les tribunaux).² Selon le philosophe des Lumières, cette relation triangulaire permet à la société de s’équilibrer. En France, ce triptyque démocratique est en équilibre instable tant il penche nettement en faveur du pouvoir exécutif depuis 1958, année de naissance de la Ve République. Sa domination a été accentuée suite à l’élection du président de la République au suffrage universel, conséquence du référendum de 1962, puis par l’adoption du quinquennat en 2000 concomitant avec l’inversion du calendrier électoral (les élections présidentielles précèdent les élections législatives) ; depuis cette date, chaque nouvel élu à la présidence de la République a obtenu une majorité politique à l’Assemblée nationale dont il commande l’agenda.³ Du côté de la justice, en vertu de l’article 64 de la Constitution, « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. » Mais Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas tenté durant son mandat présidentiel de supprimer le juge d’instruction ?4 Emmanuel Macron ne s’est-il pas prononcé contre l’indépendance du Parquet ?5 La Cour européenne des droits de l'Homme a déjà dénoncé la subordination des procureurs envers le garde des Sceaux, ministre de la Justice nommé par le président de la République.6 C’est à l’aune de cette réalité constitutionnelle qu’il faut appréhender la manifestation des syndicats policiers du 19 mai dernier : la police, bras armé du pouvoir exécutif, représenté en la circonstance par le ministre de l’Intérieur*, manifestant devant l’Assemblée nationale, siège du pouvoir législatif, et vitupérant la justice avec la bénédiction de personnalités politiques présentes.7 Conclusion ? La République n’est pas synonyme de démocratie et cette dernière va mal, très mal !
¹ La séparation des pouvoirs
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270289-la-sepa...
² Qu’entend-on par séparation des pouvoirs ?
https://www.vie-publique.fr/fiches/275008-quentend-par-se...
Les pouvoirs définis par une Constitution
https://www.vie-publique.fr/fiches/19546-les-pouvoirs-def...
³ Rémi Clément et Laurent Fargues, « Députés LREM: la promesse de révolution a bien échoué », Challenges, 16 juin 2021.
https://www.challenges.fr/politique/la-republique-en-marc...
Quatre ans après la déferlante LREM, les nouveaux députés n’ont pas réussi à changer le fonctionnement du Palais-Bourbon. La promesse d’Emmanuel Macron de créer un vrai contre-pouvoir a été oubliée.
« Les pouvoirs de l’Assemblée nationale », Le Nouvel Observateur, 17 juin 2007.
https://www.nouvelobs.com/politique/elections-2007/200706...
Un exemple parmi d’autres : l’article 48 de la Constitution du 4 octobre 1958 spécifie que « Deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité, et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, à l'examen des textes et aux débats dont il demande l'inscription à l'ordre du jour. » De plus, le troisième alinéa dudit article 48 prévoit l’inscription à l’ordre du jour par priorité de certains textes, à la demande du Gouvernement et en dehors des semaines qui lui sont normalement réservées.
La loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 n’a rien changé sur le fond. Comme le souligne l'historien et chercheur associé au Cevipof Eric Thiers, « Par confort, les gouvernements cherchent naturellement à limiter la portée des contrôles parlementaires. Ils peuvent y parvenir en s’appuyant sur leur majorité qui s’autodiscipline et tient l’opposition à distance. Lorsque la logique institutionnelle l’emporte et que les parlementaires de la majorité et de l’opposition ont des vues convergentes, les gouvernements peuvent alors tenter d’user des voies juridiques, constitutionnelles ou non, pour écarter les initiatives parlementaires intempestives ou en réduire la portée. »
Éric Thiers, Le contrôle parlementaire et ses limites juridiques : un pouvoir presque sans entraves, Pouvoirs, vol. 134, n°3, 2010, pp. 71-81.
https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-3-page-71.htm
Notons, enfin, que l'efficacité du contrôle parlementaire est aussi liée, dans une large mesure, à la qualité de l'information et aux conditions dans lesquelles les renseignements sont fournis au Parlement par le pouvoir exécutif.
4 « Sarkozy officialise sa volonté de supprimer la fonction de juge d'instruction », Le Nouvel Observateur, 7 janvier 2009.
https://www.nouvelobs.com/justice/libertes-sous-pression/...
5 « Justice : Emmanuel Macron refuse d'accorder son indépendance au parquet », France info avec AFP et Reuters, 15 janvier 2018.
https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/justice-emman...
6 L’article 39-1 du Code de procédure pénale spécifie que « le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice ». « A cette fin, il dirige l'activité des officiers et agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal » (article 41 du Code susvisé). C’est lui qui décide ou non d’engager des poursuites conformément aux dispositions de l’article 40-1 du code précité. L’ouverture d’une enquête judiciaire est donc à l’initiative du procureur de la République et non du juge d’instruction, qui ne peut en aucun cas s’auto-saisir.
Qu’est-ce qu’un garde des Sceaux ?
https://www.vie-publique.fr/fiches/38056-le-garde-des-sce...
Valérie de Senneville, « Juges d'instruction et procureurs n'ont pas les mêmes pouvoirs », Les Echos, 19 juillet 2010.
https://www.lesechos.fr/2010/07/juges-dinstruction-et-pro...
Thomas Vampouille, « L'indépendance du procureur en France remise en cause », Le Figaro, 23 novembre 2010.
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/11/23/01016...
« La subordination des procureurs au ministère de la Justice validée par le Conseil constitutionnel », France info avec AFP, 8 décembre 2017.
https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/la-subordinat...
Nicolas Braconnay, « Quels magistrats pour diriger les enquêtes ? La question du juge d’instruction et du statut des procureurs », Vie publique, 11 juin 2019.
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38545-la-quest...
* Aussi inédite soit-elle, la présence du ministre de l’Intéieur, Gérald Darmanin a forcément été préalablement approuvée par le président de la République, voire téléguidée par l’Elysée.
7 Gauthier Vaillant, « Manifestation des policiers : la classe politique au diapason des syndicats de police », La Croix, 19 mai 2021.
https://www.la-croix.com/France/Manifestation-policiers-c...
Pauline Perrenot, « Manifestation de la police : les chaînes d’info co-écrivent l’histoire avec les syndicats de police », Acrimed, 24 mai 2021.
https://www.acrimed.org/Manifestation-de-la-police-les-ch...
Georges Moréas, « Une police en déshérence », Police et cetera, 24 mai 2021.
https://www.lemonde.fr/blog/moreas/2021/05/24/une-police-...
Matthieu Guyot, « Le pouvoir débordé par les syndicats de Police ? », L’Essor, 4 février 2021.
https://lessor.org/societe/le-pouvoir-deborde-par-les-syn...
17:00 Publié dans Perso, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : constitution, république, démocratie, séparation des pouvoirs, montesquieu, pouvoir exécutif, president de la république, ministres, gouvernement, pouvoir législatif, parlement, sénat, assemblée nationale, pouvoir judiciaire, juges, tribunaux, procureurs de la république, indépendance, poliitque, france
01/06/2021
TEL EST PRIS QUI CROYAIT PRENDRE
Le 16 février dernier, sur les ondes de RTL, Gérald Darmanin était revenu sur ses propos lors de son débat avec Marine Le Pen cinq jours auparavant ; il avait taclé à cette occasion la présidente du Rassemblement national, l’accusant de « mollesse » face à l’islamisme radical : « Je trouve que, en effet, vous êtes plus molle que nous pouvons l'être ».¹ L’ancien maire de Tourcoing avait alors évoqué l'un des objectifs de campagne en vue des présidentielles de 2022 : « Je souhaite que les électeurs du Front National votent pour nous. Je souhaite qu'ils comprennent que nous pouvons répondre à leur colère ».² Or, rien ne sert de courir après le RN, assure aujourd’hui l’un des fondateurs de la Droite forte, Geoffroy Didier, longtemps considéré comme un proche de Nicolas Sarkozy, maintenant chargé de communication de Valérie Pécresse pour les élections régionales. Il pointe désormais « l’erreur qu’il ne faut pas refaire : s’imaginer qu’on peut récupérer les électeurs de Marine le Pen. »³
¹ Laure Carreno Muller, « Je vous trouve molle, un peu branlante » : Gérald Darmanin tacle Marine Le Pen, Gala, 11 février 2021.
https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/video-je-vous-tr...
Abel Mestre, Débat entre Marine Le Pen et Gérald Darmanin : la dédiabolisation par procuration, Le Monde, 12 février 2021.
https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/12/debat...
² Oriane Theodose , « Elle est nulle, pas gentille » : Gérald Darmanin égratigne Marine Le Pen, Gala, 16 février 2021.
https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/elle-est-nulle-p...
³ Challenges n°697 du 6 mai 2021, page 90.
20:57 Publié dans France, Perso, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emmanuel macron, gérald darmanin, marine le pen, sécurité, police, élections, électeurs, extrême droite, rn, rassemblement national, lr, les républicains, lrem, macronie, politique, france, droite, droite forte, geoffroy didier, fn, front national
03/04/2021
PILE OU FACE ?
Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont-ils différents ? Ce sont, en réalité, les deux faces d’une même pièce libérale. Ce duel annoncé, répété, asséné (et souhaité ?) par les médias bénéficie invariablement au grand capital. Macron ou Le Pen, ce dernier est, en effet, assuré de remporter le match quoi qu’il arrive. En 2022, il est donc à craindre que le choix se résume entre un libéralisme autoritaire, incarné par Emmanuel Macron et consorts, et un autoritarisme libéral, représenté par Marine Le Pen et ses sbires…
18:24 Publié dans France, Perso, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emmanuel macron, marine le pen, droite, la république en marche, lrem, extrême droite, rn, rassemblement national, fn, front national, élections présidentielles 2022, politique, france