27/03/2021

GARDE CIVILE, BONJOUR !

La police municipale recouvre deux réalités différentes : le pouvoir de police municipale des maires (articles L2212-1 et L2212-2 du code général des collectivités territoriales - CGCT) et le service de police municipale qu’un maire peut mettre en place dans sa commune (dont les missions et l'organisation sont régies par les dispositions du titre Ier du livre V du code de la sécurité intérieure - CSI). Cette dichotomie peut être source de confusion.

En avril 1998, le ministère de l'Intérieur recensait 3030 communes dotées d'une police municipale, employant 13 098 agents. Les polices municipales alignent aujourd’hui quelque 24 000 fonctionnaires employés par 4 555 communes ou EPCI (établissements publics de coopération intercommunale à fonds propres tels que les communautés de communes).¹ Elles représentent désormais la troisième force de sécurité du pays. Mais force est de constater que depuis leur renaissance dans les années 1980, les polices municipales n’ont toujours pas d’identité propre. Comme le notait déjà Le Canard enchaîné en 1999, « les polices municipales sont tiraillées d’un côté par l’Intérieur, qui rêve d’en faire des flics subalternes, et de l’autre par des maires qui en font des agents électoraux ».²

Les agents de la police municipale portent tous les mêmes uniformes lorsqu'ils interviennent sur la voie publique. Cependant, leur tenue, leur carte professionnelle et leurs véhicules sont différents des autres forces de police de manière à n'entraîner aucune confusion avec la police et la gendarmerie nationales (article D511-3 et suivants du CSI). Or, la dénomination même de « police municipale » engendre l’amalgame dans l’esprit des concitoyens, d’autant qu’il y a un recentrage judiciaire de leur métier, suivant le modèle de la police d’Etat : « avec les années et les mutations de la profession, elles [les polices municipales] se recentrent incontestablement sur la répression », soulignait déjà la sociologue Virginie Malochet en 2007.³ En effet, depuis la loi éponyme du 15 avril 1999, il n’y a pas eu une année sans qu’un texte législatif n’accroisse leurs pouvoirs.

Ces vingt dernières années, l’Etat a également multiplié les possibilités de créer des polices municipales communes à plusieurs localités (article L512-1 et suivants du CSI), d’autant que les policiers municipaux ne lui coûtent rien. Ce développement de polices pluri ou intercommunales rend la désignation de « police municipale » inappropriée.

L’article L2211-1 du CGCT spécifie que « le maire concourt à la politique de prévention de la délinquance » et l’article L511-1 définit les missions des agents de police municipale autour de la préservation du bon ordre, de la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Préserver, donc garder. Dès lors, pourquoi ne pas baptiser « gardes civiles » les polices municipales ?

Ce titre présente l’avantage de recentrer les fonctionnaires concernés sur les fondements de leur profession, à savoir : la proximité. Il favoriserait aussi l’intégration des gardes champêtres au sein d’une filière commune « la garde civile », avec apport de leurs compétences spécifiques.

L’appellation de garde civile n’est nullement infâmante, encore moins obsolète comme le démontre l’exemple espagnol.4 Mieux, elle a une connotation plus positive que celle de police municipale, qui induit l’idée d’une structure aux ordres du maire (ce qui est vrai au vu du CGCT et du CSI) et non d’un organisme communal au service de la population qui, pourtant, finance celui-ci au travers des impôts locaux.

Pourtant, les thuriféraires des polices municipales s’opposent à cette réforme. Ces partisans d’une ligne dure vouée à la répression ont érigé en totem le mot « police ». Ces contempteurs défendent d’ailleurs bec et ongles LEUR police, oubliant (sciemment ?) que la vocation première de cette dernière est de répondre aux besoins de la communauté locale et non servir des intérêts politiques particuliers5 ; l’article 12 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 spécifie que la force publique est « instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Dans cette perspective, adieu police municipale, bonjour garde civile !

 

¹ Police municipale : effectifs par commune

https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/police-municipale-ef...

² « Et urne de plus », Les dossiers du Canard enchaîné n°71, Que fait la police ? Voir à l’intérieur,  avril 1999, page 74.

³ Virginie Malochet, Les policiers municipaux, PUF, 2007, page 43.

4 En Espagne, la garde civile, forte d'environ 75.000 hommes, exerce les mêmes compétences que la police nationale, mais seulement dans les parties du territoire où la police n'est pas compétente, c'est-à-dire en milieu rural, ainsi que sur les eaux territoriales. La garde civile est un corps militaire, mais il est placé sous la double autorité du ministère de l'Intérieur et de celui de la Défense.

5 Dans un article intitulé « Elle est pas belle ma police municipale ? », le journaliste Stéphane Menu concluait en ces termes : « Aujourd’hui, embaucher des policiers municipaux est une bonne chose pour l’image d’un maire, sans oublier le déploiement des caméras de vidéosurveillance. À l’approche des municipales, le mouvement n’est pas près de ralentir… »  (La Lettre du cadre territorial n°470 du 15 septembre 2013, page 19).

21/01/2013

BLESSÉS EN SERVICE : LA DURETÉ DES CHIFFRES

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Haute-Savoie. Un policier municipal blessé dans un choc avec une camionnette.

Source : Le Dauphiné Libéré, 30 novembre 2012.

http://www.ledauphine.com/haute-savoie/2012/11/30/un-policier-municipal

 

Selon l’USPPM (Union syndicale professionnelle des policiers municipaux), 87 agents municipaux ont été blessés en service en 2012. [1] Un chiffre dont personne ne peut mettre en doute la véracité au vu de la vigilance de cette organisation syndicale à ce sujet. Il est, néanmoins, souhaitable de nuancer cette donnée.

 

Sachant qu’il y a approximativement 18 500 agents de police municipale en France (un chiffre stable ces dernières années après deux décennies de hausse), on obtient donc un taux de… 0,47 %. A titre de comparaison, Le Figaro avançait le 23 octobre dernier le chiffre de 38 blessés par jour parmi les forces de police d’Etat, soit 10 331 policiers et gendarmes blessés en service à cette date. [2] Il ne s’agit bien évidemment pas d’opposer les blessés des uns aux autres, encore moins de les nier, mais de relativiser les faits et de ne pas tronquer la réalité.

 

Malgré les discours alarmistes de certains syndicats, force est donc de constater que ce n’est pas la profession la plus dangereuse. Comment, cependant, expliquer cette dichotomie ? En 2011, Laurent Mucchielli a apporté des éléments de réponse à cette question en soulignant que « les notions de "danger" et de "risque", qui sont centrales dans l’attitude et dans les représentations des policiers eux-mêmes, ne sont pas objectivées ni enseignées dans les écoles de police. La porte est ainsi ouverte au déni autant qu’à la dramatisation abusive. » [3]

 

Le déni proviendrait par exemple des discours hostiles par principe à la police, dénigrant le statut de fonctionnaire, dénonçant la passivité et l’absence de réactivité. La dramatisation abusive proviendrait par exemple des discours les plus sécuritaires présentant un danger criminel omniprésent et croissant, voire de ceux qui n’hésiteraient pas à prétendre qu’un criminel en puissance se cache derrière chaque citoyen et que le policier doit s’en méfier par principe. Allez faire de la proximité après ça… [4]

 

Il concluait que « La réalité est plus prosaïque. D’abord, le métier de policier présente effectivement des risques supérieurs à la moyenne, mais bien inférieurs à ceux d’autres professions. […] Côté évolution, à l’inverse de l’affirmation sécuritaire, l’on assiste à une baisse constante du nombre de policiers tués en service. […] Quant aux causes, les graphiques publiés par Stéphane Lemercier en annexe de son livre le montrent : on est loin là aussi de la mythologie guerrière. La première cause de décès des policiers dans les années 2000 sont les accidents (accidents de la route, incidents de tir, incidents à l’entraînement, crash d’hélicoptère, etc.). Les fusillades n’arrivent qu’en second et assez loin derrière. »

 

Au vu de cette réalité, l’argument de la dangerosité du métier en raison d’une supposée violence croissante de la société pour exiger l’armement de tous les policiers municipaux – car c’est la finalité – n’est donc pas pertinent, même s’il est à nouveau agité à l’approche du débat sénatorial à propos des polices municipales le 24 janvier prochain. D’ailleurs, comme l’a récemment exposé le SAFPT (Syndicat autonome de la Fonction publique territoriale), il existe une autre voie que la dramatisation à l’excès pour porter cette revendication, même si le policier municipal n’est « pas vraiment un policier » comme le regrettait Jean-Louis Del Pistoia en 2011. [5]



[1] Jean-Louis Del Pistoia, « Intervention de la police municipale » in USPPM, 19 janvier 2013.

http://usppm.blogs.nouvelobs.com/archive/2013/01/19/intervention-de-la-police-municipale.html

 

[2] Christophe Cornevin, « Violences contre les forces de l’ordre : 38 blessés par jour » in Le Figaro, 23 octobre 2012.

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/10/23/01016-20121023ARTFIG00577-violences-contre-les-forces-de-l-ordre-38-blesses-par-jour.php

 

[3] Ce constat de Laurent Mucchielli soulève indirectement un autre problème, celui de la formation des agents municipaux dans un contexte où la police municipale est en recherche de professionnalisation. La formation est aujourd'hui prise en charge par le CNFPT (Centre national de la Fonction publique territoriale). Pourtant, certains syndicats dont l’USPPM et le SDPM (Syndicat de défense des policiers municipaux) réclament la création d'une ou deux écoles nationales pour former les policiers municipaux. Une revendication récurrente : telle un serpent de mer, cette idée rejaillit à intervalles réguliers (lors des débats dans le cadre de la LOPPSI 2 par exemple), même si elle est dans les faits quasi enterrée par le ministère de l'Intérieur depuis 2010, qui préfère la création de pôles d'application au sein du CNFPT.

Lire également à ce sujet :

Jean-Christophe Poirot, « Police municipale : le défi de la formation » in La Lettre du cadre n°394, 1er février 2010.

http://www.lettreducadre.fr/PAR_TPL_IDENTIFIANT/14429/TPL_CODE/TPL_REV_ARTSEC_FICHE/PAG_TITLE/Police+municipale+%3A+le+d%E9fi+de+la+formation/2102-fiche-article-de-revue.htm

 

[4] Laurent Muchielli, « "Victimes du devoir" : les policiers morts en service » in Vous avez dit sécurité ?, 11 juillet 2011.

http://insecurite.blog.lemonde.fr/2011/07/11/victimes-du-devoir-les-policiers-morts-en-service/

 

[5] Melanie Roddier, « Le policier municipal, "pas vraiment un policier" » in Zinfos974.com, vendredi 20 mai 2011.

http://www.zinfos974.com/Le-policier-municipal-pas-vraiment-un-policier_a28842.html

25/09/2011

BEAUVAIS : DE L’AGRESSION AUX QUESTIONS

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Rappel des faits : « Ce soir du 11 septembre 2010, un groupe de jeunes joue au ballon agression,agent de police municipale,policier municipal,police municipale,frédéric foncel,beauvais,oise,snpm,snpm-cftc,syndicat national des policiers municipaux,jean-louis del pistoia,usppm,union syndicale professionnelle des policiers municipaux,voiture,automobile,amiens,justice,caroline cayeux,avocat,gilbert collard,hubert delarue,fo,force ouvrière,missions,compétences,abus de pouvoir,bavure,marion rambier,hervé malassis,mathieu volant,contrôle d’identité,relevé d’identité,contrôle routier,code de la route,code de procédure pénale,doctrine d’emploi,armementdans le quartier Bellevue à Beauvais. Une patrouille de police municipale intervient après une plainte de riverains. Les agents demandent leurs papiers d’identité aux jeunes. Certains refusent. La situation dégénère. Et quand son cousin tient tête à un policier, Christopher s’interpose. Il prendra un coup de matraque sur l’arcade. Blessé, il monte dans la Mercedes de son beau-père, stationnée quelques mètres plus loin et fonce. Il renverse deux des agents, blessant l’un à la tête et l’autre au poignet. Il prendra la fuite avant de se rendre quelques heures plus tard. L’affaire fait alors le tour des médias nationaux. Les syndicats [de police municipale] en profitent pour relancer le débat sur l’armement des policiers municipaux. » [3]

 

« C’est l’uniforme qui était visé », clame aussitôt la maire de Beauvais, Caroline Cayeux [4], qui dénonce « cette violence gratuite faite aux agents dépositaires de la force publique » [5]. « Les policiers municipaux ont joué aux cow-boys », rétorquent les habitants [6]. Le jeune homme est maintenu en détention jusqu’à son jugement par le tribunal correctionnel de Beauvais le 28 septembre 2010. À l’époque, la presse annonce un choc de titans lors du procès, celui de deux ténors du barreau [7] : Me Hubert Delarue pour la défense [8], tandis que Frédéric Foncel avise les journalistes de la venue du très médiatique Me Gilbert Collard en tant d’avocat de la partie civile [9] : « On a saisi Me Collard pour la défense des victimes, via la protection fonctionnelle. Il nous fallait un ténor du barreau car c'est une affaire grave. » [10] Finalement, ce fut une benjamine, Me Marion Rambier, représentante du cabinet de Me Collard. Le truculent Marseillais, désormais président du comité de soutien de Marine Le Pen, se serait-il dégonflé ? En dépit des apparences, le dossier n’était-il pas aussi solide malgré le battage médiatique ? Vraisemblablement sinon comment expliquer la mansuétude de la Cour d’appel d’Amiens ?

 

LAXISME JUDICIAIRE ?

 

Celle-ci a-t-elle fait preuve de laxisme ? Cette interrogation est d’autant plus lancinante que la justice fait rarement preuve d’indulgence en la matière. Ainsi, au mois de septembre 2011, le tribunal correctionnel de Mulhouse a condamné un jeune homme à trois mois de prison pour avoir crevé le pneu d’une voiture de la police municipale d’Altkirch [11]. Au même moment, à Béziers, un Agathois de 21 ans écopait d’un an d’emprisonnement avec maintien en détention pour avoir foncé sur des fonctionnaires de police à qui il devra régler 1 000 € de dommages et intérêts pour leur préjudice moral, plus 1 000 € pour les frais de justice [12]. Il est vrai qu’à la différence de Beauvais, ces prévenus étaient défavorablement connus des services de police. Néanmoins, la clémence de la Cour d’appel d’Amiens n’en demeure pas moins surprenante, voire suspecte, suscitant l’ire des organisations syndicales de police municipale, l’USPPM poussant l’audace à rappeler dans son communiqué la législation en matière de coups et blessures. Nul n’est censé, en effet, ignorer la loi. Me Delarue s’est d’ailleurs emparé de cet adage lors de sa plaidoirie, assénant que « les policiers municipaux ne doivent pas méconnaître le code de procédure pénale » [13] « Le côté singulier de ce dossier, c'est que rien n'indique, ni de près ni de loin, qu'un délit était en train de se préparer », note l’homme de loi, qui conclue que l’interpellation du jeune homme a été effectuée après une demande de contrôle d’identité, donc un abus de pouvoir des agents beauvaisiens.

 

DU CONTRÔLE AU RECUEIL D’IDENTITÉ

 

Dans cette affaire, ces derniers interviennent pour des nuisances sonores, conformément aux articles L2212-2 et L2212-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), puis réclament l'identité des différents protagonistes. C’est là que le bât blesse : est-ce un relevé d’identité comme l’affirme la partie civile ou un contrôle d’identité comme le souligne la défense ? En première instance fut reconnue l’illégalité du contrôle d’identité [14]. En effet, malgré leur homonymie, un gardien de police municipale n’est pas un gardien de la paix. Un agent de police municipale (APM) est agent de police judiciaire adjoint (APJA) selon l’article 21 du Code de procédure pénale (CPP). A ce titre, il ne peut réaliser de contrôles d’identité [15]. Si l’article 78-1 du CPP spécifie que « Toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité […] », l’article 78-2 précise, toutefois, que seuls « Les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité […] ». Les APM, cités à l’article 21-2°, sont donc exclus [16]. Dès lors, ceux-ci ne bénéficient que de l’article 78-6, qui leur permet de « relever l'identité des contrevenants pour dresser les procès-verbaux concernant des contraventions aux arrêtés de police du maire, des contraventions au code de la route que la loi et les règlements les autorisent à verbaliser ou des contraventions qu'ils peuvent constater en vertu d'une disposition législative expresse. » Une infraction préalable est donc impérative à son application. Il ajoute que « Si le contrevenant refuse ou se trouve dans l'impossibilité de justifier de son identité, l'agent de police judiciaire adjoint mentionné au premier alinéa en rend compte immédiatement à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent, qui peut alors lui ordonner sans délai de lui présenter sur-le-champ le contrevenant. A défaut de cet ordre, l'agent de police judiciaire adjoint mentionné au premier alinéa ne peut retenir le contrevenant. » Le relevé d’identité est donc clairement fixé par les textes. Cette réalité n’a pas empêché Mathieu Volant, délégué national du SNPM, de déclarer avec amertume : On n'a toujours pas obtenu une définition claire du relevé d'identité [ce qui est faux au vu des articles susvisés]. Comment peut-on travailler demain pour établir un procès verbal pour tapage sans demander l'identité ? [l’article 78-6 démontre l’inanité de cet argument] Notre statut est décidément un statut bâtard ». [17] Cela dit, en appel, la Cour d'Amiens a infirmé l’illégalité du contrôle d’identité prononcée en première instance au motif « que l’intervention des policiers municipaux ne s’analysait pas en un simple contrôle d’identité, pour lequel ils ne sont légalement habilités ; au contraire, constatant que des infractions venaient d’être commises, notamment une violation de domicile, par suite de l’escalade de la clôture [pour récupérer un ballon de football tombé dans le jardin] fermant la propriété des époux P. et des outrages à personne dépositaire de l’autorité publique, lesquels agissements susceptibles de caractériser un délit pénal, venaient d’être commis, lesdits agents de police municipale ont, dans le cadre de la flagrance, tenté d’identifier leurs auteurs, à la faveur d’un recueil d’identité ». En résumé, ce n’est pas un contrôle d’identité, ni un relevé d’identité mais un recueil d’identité, une manière astucieuse de ménager la chèvre et le chou ! En effet, si la procédure du contrôle d’identité est interdite aux agents de police municipale, celle du relevé d’identité ne peut se dérouler qu'en cas de constatation d'une infraction. En dehors de ce cas, seul un recueil d'identité peut être mis en œuvre, qui consiste à demander à la personne de décliner son identité, mais sans pouvoir exiger d’elle la présentation d’un document justifiant de celle-ci, ni, en cas de refus, faire usage de moyens coercitifs, à la différence des deux précédentes procédures [18]. L’action des agents beauvaisiens a, néanmoins, dégénéré suite au refus de jeunes gens de se soumettre à ce « recueil d’identité » et tout a dérapé avec une brusque bousculade et des coups pour aboutir à l’inacceptable, même sous le coup de l’émotion : foncer sur une personne avec une voiture.

 

PRÉMÉDITATION ?

 

Coups et blessures volontaires, clamaient les policiers municipaux. Panique et acte non prémédité, rétorquait la défense. Finalement, « Les juges ont retenu le fait que l'action de Christopher, ce 11 septembre 2010, n'était pas préméditée. […] Pour la défense, l'action des policiers municipaux était disproportionnée par rapport à la situation. Christopher, qui était inconnu de la justice, aurait agi par peur. Il aurait perdu son sang-froid. » [19]

Les chroniqueurs judiciaires soulignent que la défense s’est appuyée sur un argument qui a dû peser lourd auprès des juges : pour Me Hubert Delarue, son client « n’a pas foncé délibérément avec cette voiture sur les policiers, il ne voulait pas les blesser ou les tuer […]. Il s’est dirigé certes sur les policiers, mais aussi vers son père qui se trouvait au milieu d’eux. On ne peut imaginer qu’il ait voulu écraser son propre père ! D’ailleurs, ce dernier n’a pas été touché par la voiture uniquement parce qu’il a eu le réflexe de se jeter contre une camionnette ! Cet homme a d’ailleurs évité qu’une femme policière soit également renversée par la voiture, puisqu’il l’a tirée en arrière », explique l’avocat amiénois, qui conclue : « Au départ, c’est une histoire de gamins qui jouaient au ballon. Christopher a reçu un coup de tonfa sur la tête, il était en sang, il a paniqué ». [20] Ainsi n’y a-t-il eu, ce soir là, à aucun moment d’intention homicide.

 

UNE DOCTRINE D’EMPLOI

 

Au-delà du fait divers, ce procès a relancé le débat sur les fonctions et les compétences des agents municipaux. Déjà, Hervé Malassis, employé municipal d’Evreux et référent national FO de la police municipale, avait affirmé, lors de sa visite aux fonctionnaires blessés en septembre 2010, que « les policiers municipaux sont désormais confrontés aux mêmes risques que les autres forces de l’ordre. » [21] Un an après, le SNPM tient le même discours :

 

Une méconnaissance du statut de policier municipal, voilà ce qui ressort finalement de ce procès, selon [le président du SNPM]. Le même jour, Frédéric Foncel était justement reçu au ministère de l’Intérieur pour réclamer « une doctrine d’emploi ». « Il faut que nos missions soient clairement définies aux yeux des maires. On intervient de la même manière que les nationaux sans en avoir les moyens. » [22] Le débat sur l’armement et la reconnaissance du métier est de nouveau relancé. [23]

 

En la matière, ce sont les missions qui déterminent actuellement l’armement et non l’inverse [24]. D’ailleurs, la police municipale de Beauvais n’est nullement désarmée :

 

À Beauvais, les 50 agents sont déjà bien dotés « C’est à l’appréciation de chaque collectivité. Le maire en fait la demande et le préfet autorise. On a la chance d’avoir un maire qui nous écoute. » Les policiers ont un équipement personnel constitué d’un gilet par balle, une bombe lacrymogène, un tonfa et pour la brigade de nuit, un flash ball. L’an dernier, à travers la commission d’hygiène et de sécurité, la police municipale de Beauvais a obtenu des films protecteurs sur les vitres de leurs véhicules pour éviter les éclats de verre, ainsi qu’un casque et un bouclier de protection. [25]

 

Lanceur de balles de défense (LBD) de type Flash-Ball, casque, bouclier… donc du matériel de maintien de l’ordre alors que celui-ci est interdit aux polices municipales comme le rappelle une circulaire ministérielle en date du 20 juillet dernier. Autre lieu, autres mœurs : « Le maire de Franconville, dans le Val-d’Oise, veut pourchasser les dealers et pour cela il souhaite que sa police soit équipée de Flash-Ball. Cette volonté affichée d’empiéter sur le domaine de la police nationale amène à s’interroger sur les missions de la police municipale et sur son armement. » [26]

 

Si l’utilité sociale des polices municipales est indéniable (là où elles existent, soit dans moins de 10 % des communes), les conditions d’emploi des APM interpellent ! La sécurité n’est pas l’alpha et l’oméga des polices municipales, au contraire ! Comme le démontrent les articles L2212-2 et L2212-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), c’est l’une des missions des polices municipales et non LA MISSION de ces dernières. Il est donc erroné de se focaliser uniquement sur celle-ci tout en négligeant le large panel des compétences municipales ; « La grande diversité des polices municipales découle des choix réalisés localement par les élus et s’oppose ainsi à une refonte statutaire nationale », dixit l’Inspection générale de l’administration (page 35). Par conséquent, il est urgent de rappeler non seulement les bases de la profession mais aussi et surtout de définir un mode d’emploi [27] tout en respectant le principe de la libre administration des collectivités territoriales garanti par la Constitution.

 

J’ai souvent lu ou entendu qu’un gardien de police municipale ne doit pas apparaître comme la pâle copie d’un gardien de la paix, que ce n’est pas un policier au rabais ou qu’il faut élever les polices municipales au rang de troisième force de l’ordre en France, agissant localement aux côtés des douanes, de la police et de la gendarmerie nationales. Ce sont d’ailleurs des revendications récurrentes de la part de ces fonctionnaires territoriaux. Après tout, pourquoi pas ? Mais alors quel est l’intérêt pour les policiers municipaux de plagier délibérément la police nationale, de se référer continuellement à cette dernière, de revendiquer obstinément un alignement sur celle-ci, de ne voir que par elle et à travers elle pour, au final, apparaître comme une force supplétive de la police nationale, pis un succédané à son désengagement [28] ? Ces fonctionnaires territoriaux ne devraient-ils pas, au contraire, cultiver leur particularité faite de proximité et de diversité afin de se constituer une identité propre, surtout que leurs effectifs stagnent ces dernières années en raison de la crise financière qui frappe les collectivités ? Ces agents municipaux auraient tort de renier la prévention, fibre originelle de leur métier, pour une répression aveugle et de se couper ainsi de la population, perdant par la même occasion ce qui fait aujourd’hui leur légitimité, voire leur raison d’être, à savoir la proximité tant vantée, pour ne pas dire revendiquée, puisque plus rien ne les différencierait alors des forces étatiques. C’est d’ailleurs la conclusion unanime de ceux qui se sont penchés sur la réalité et l’avenir des polices municipales : le préfet feu Jean Ambroggiani, l’Inspection générale de l’administration (IGA), Virginie Malochet

 



[1] Pauline Conradsson, « Policiers renversés : peine allégée pour le conducteur » in Le Parisien, 8 septembre 2011.

http://www.leparisien.fr/oise-60/policiers-renverses-peine-allegee-pour-le-conducteur-08-09-2011-1597001.php

 

[2] USPPM, « Lamentable… » in Le Post.fr, 8 septembre 2011.

http://www.lepost.fr/article/2011/09/08/2585206_lamentabl...

 

[3] Pauline Conradsson, « Policiers renversés : peine allégée pour le conducteur » in Le Parisien, 8 septembre 2011.

 

[4] Membre de l’UMP, Caroline Cayeux a été élue présidente déléguée de la Fédération des maires des villes moyennes (20 000 à 100 000 habitants) en juin 2011. Fin 2010, la maire de Beauvais, proche de François Fillon, fut pressentie un temps pour intégrer son gouvernement lors du remaniement imposé par le départ d’Eric Woerth, ministre du Travail et maire de Chantilly, affaibli par l’affaire Bettencourt. Las pour l’édile, la rumeur ne s’est pas concrétisée.

 

[5] « Police municipale : un statut dérogatoire » in Le Courrier picard, mercredi 15 septembre 2011.

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-re...

 

[6] « Un jeune renverse deux policiers municipaux » in Le Parisien, 13 septembre 2010.

http://www.leparisien.fr/oise-60/un-jeune-renverse-deux-policiers-municipaux-13-09-2010-1065503.php

 

[7] Khalid Garaa, « Beauvais : Christopher jugé ce mardi après-midi » in L’Observateur de Beauvais, 28 septembre 2010.

http://www.lobservateurdebeauvais.fr/28092010Beauvais--Christopher-juge-ce-mardi-apres-midi,6097.media?a=3620

 

[8] Florence Aubenas, « Marqué Outreau » in Libération, 17 février 2006.

http://www.liberation.fr/portrait/010139253-marque-outreau

 

[9] Khalid Garaa, « Beauvais : Me Collard assurera la défense de deux des policiers blessés. » in L’Observateur de Beauvais, 15 septembre 2010.

http://www.lobservateurdebeauvais.fr/15092010Beauvais--Me-Collard-assurera-la-defense-de-deux-des-policiers-blesses,6586.media?a=3567

 

[10] « Les syndicats mettent la pression sur les élus pour obtenir des armes » in Le Courrier picard, mercredi 15 septembre 2010.

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Didier-Ils-voulaient-juste-tuer-du-flic/Les-syndicats-mettent-la-pression-sur-les-elus-pour-obtenir-des-armes

 

[11] « Pneu crevé, peine gonflée » in Les Dernières Nouvelles d’Alsace, mardi 6 septembre 2011.

http://sitemap.dna.fr/articles/201109/06/pneu-creve-peine...

 

[12] Annick Koscielniak, « Béziers. Un an ferme pour avoir foncé sur les fonctionnaires de police » in Le Midi libre, 6 septembre 2011.

http://www.midilibre.fr/2011/09/05/un-an-ferme-pour-avoir-fonce-sur-les-fonctionnaires-de-police,382429.php

 

[13] Mélanie Carnot et Gabriel Thierry, « BEAUVAIS Agression des policiers : 18 mois ferme requis » in Le Courrier picard, mercredi 29 septembre 2010.

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-re...

 

[14] Mélanie Carnot, « BEAUVAIS Policier municipal : "un statut bâtard" » in Le Courrier picard, jeudi 30 septembre 2010.

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-re...

 

[15] Une astuce permet de contourner légalement cet obstacle juridique dans un cas précis, celui d’un contrôle routier. Les articles L.130-4 et R.130-2 du Code de la route permettent, en effet, aux agents de police municipale (APM) de constater par procès verbal l’ensemble des contraventions à l'exception de celles prévues aux articles R.121-1 à R.121-5, R.221-18, R.222-2, R.222-3, R.234-1, R.314-2, R.411-32, R.412-17, R.412-51, R.412-52, R.413-15. Or, en s’appuyant sur l’article R.233-1 du Code de la route, les APM peuvent ni plus ni moins procéder à un contrôle d’identité ; les informations inscrites sur le permis de conduire ne révèlent-elles pas notre identité ? Ainsi, ces fonctionnaires territoriaux ne sont-ils plus entravés par l’impératif d’une infraction préalable*, condition obligatoire au relevé d’identité. C’est une manière de contourner très habilement l’article 78-6 du Code de procédure pénale. Par contre, au vu des articles 78-2-2 à 78-2-4, les APM ne peuvent pas procéder à la visite des véhicules contrôlés.

* Voir la question n°43491 de Jean-Claude Perez, député socialiste de l’Aude, en 2004.

http://questions.assemblee-nationale.fr/q12/12-43491QE.htm

 

[16] Le Conseil constitutionnel a censuré deux dispositions relatives aux polices municipales dans la Loppsi 2 : les articles 91 et 92. Le premier prévoyait d’accorder le statut d’APJ (agent de police judiciaire) aux directeurs de police municipale, disposition que le Conseil a jugée contraire à l’article 66 de la Constitution, selon lequel la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire. Le second autorisait les APM à participer à des contrôles d’identité, effectués sous l’autorité d’un OPJ (officier de police judiciaire). Selon les Sages, les policiers municipaux relevant des autorités communales ne peuvent être mis à disposition des OPJ. Par contre, ils ont validé l’article 93, qui stipule que les APM peuvent effectuer des contrôles d’alcoolémie dans le cadre de contrôles routiers à l’initiative d’un OPJ de la police ou gendarmerie nationales.

 

[17] Mélanie Carnot, « BEAUVAIS Policier municipal : "un statut bâtard" » in Le Courrier picard, jeudi 30 septembre 2010.

 

[18] Question n°76155 d’Alain Bocquet, député communiste du Nord, du 18 octobre 2005 (12ème législature).

http://questions.assemblee-nationale.fr/q12/12-76155QE.htm

 

[19] Gautier Lecardonnel, « Beauvais. Une simple amende pour avoir foncé sur les policiers » in Le Courrier Picard, jeudi 8 septembre 2011.

[20] Gautier Lecardonnel et Mélanie Carnot, « BEAUVAIS Violences contre des policiers municipaux : "Il n’a pas voulu les blesser" » in Le Courrier picard, vendredi 9 septembre 2011.

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-re...

 

[21] F.D., « BEAUVAIS Un délégué syndical FO au chevet des policiers blessés » in Le Courrier picard, vendredi 17 septembre 2010.

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-re...

 

[22] Laurent Opsomer, « Polices municipales : mythes et réalités » in Double Neuf, 2 juin 2011.

http://doubleneuf.nordblogs.com/archive/2011/06/02/polices-municipales-mythes-et-realites.html

 

[23] Gautier Lecardonnel et Mélanie Carnot, « BEAUVAIS Violences contre des policiers municipaux : "Il n’a pas voulu les blesser" » in Le Courrier picard, vendredi 9 septembre 2011.

 

[24] Laurent Opsomer, « Faut-il armer les polices municipales ? » in Double Neuf, 16 juin 2011.

http://doubleneuf.nordblogs.com/archive/2011/06/16/faut-il-armer-les-polices-municipales.html

 

[25] F.D., « BEAUVAIS Un délégué syndical FO au chevet des policiers blessés » in Le Courrier picard, vendredi 17 septembre 2010.

 

[26] Georges Moréas, « L’essor de la police municipale » in Police et cetera, 17 juin 2009.

http://moreas.blog.lemonde.fr/2009/06/17/lessor-de-la-police-municipale/

 

[27] Georges Moréas, « Police municipale : à quand un mode d’emploi ? » in Police et cetera, 30 novembre 2009.

http://moreas.blog.lemonde.fr/2009/11/30/police-municipale-a-quand-un-mode-demploi/

 

[28] APVF, « Etude sur les polices municipales des petites villes de France : Quelle police municipale pour demain ? », 26 janvier 2011.

http://www.apvf.asso.fr/files/notes-techniques/Resultats-questionnaire-police-municipale.pdf

Selon l’Association des petites villes de France (APVF), « les résultats démontrent une forte corrélation entre la réduction des effectifs de sécurité de l’Etat et le recrutement des policiers municipaux. Il s’agit là d’un nouvel exemple de transfert de charges insidieux de l’Etat vers les communes, alors même que les attentes de la population en matière de sécurité n’ont pas diminué. Dans ces conditions, l’APVF appelle une nouvelle fois l’Etat à ne pas se défausser de ses compétences régaliennes sur les collectivités en matière de sécurité. Elle demande à l’Etat de mieux assurer l’intégralité des missions que la loi lui confie dans ce domaine. La "coproduction" souhaitable et nécessaire en matière de lutte contre la délinquance et l’insécurité ne doit pas aboutir à la confusion des moyens sur le terrain. »