02/06/2011

POLICES MUNICIPALES : MYTHES ET RÉALITÉS

« Avec 20 000 agents, et même 23 000 en y intégrant les gardes champêtres, les polices municipales participent pleinement à la mise en œuvre de la politique de sécurité. Une loi d’orientation pour la sécurité intérieure se doit donc d’en tenir compte. […] Il s’agit de tenir compte de la réalité des polices municipales qui, bien souvent, assurent la majorité de la présence sur la voie publique. » C’est en ces termes qu’Eric Ciotti, député UMP des Alpes-Maritimes, défend l’extension des prérogatives judiciaires des polices municipales dans son rapport n°2271 sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, plus connu sous l’acronyme de Loppsi 2.

 

Une telle assertion mérite, cependant, certaines précisions car il ne suffit pas d’affirmer, il faut démontrer la véracité de ce que l’on avance en la matière !

 

Les effectifs d’abord. Eric Ciotti annonce « 20 000 agents et même 23 000 en y intégrant les gardes champêtres ». Or, selon le récent rapport du préfet Jean Ambroggiani, « Les polices municipales, toutes catégories de personnels confondues, ne représentent qu’un effectif de 23 000 agents. » Toujours selon le même rapport, dans ce total, les gardes champêtres seraient environ 1 800 tandis que les ASVP (agents de surveillance de la voie publique) dont les compétences sont limitées au stationnement représenteraient 3 000 personnes. Enfin, dans une étude consacrée aux polices municipales en Île-de-France (avril 2009), l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisation de cette région avance le chiffre de 3 452 communes dotées d’une police municipale, employant 18 172 fonctionnaires. Or, en dépit des suppressions de postes annoncées, la gendarmerie comptera l’an prochain au total environ 101 000 personnels, dont 98 155 militaires, tandis que l’effectif sera de 144 790 pour la police nationale (rapport général fait au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2010 par Philippe Marini, tome III Moyens des politiques publiques et dispositions spéciales,  annexe n°28 Sécurité réalisée par Aymeri de Montesquiou, en date du 19 novembre 2009). Même en ne prenant uniquement en compte que les effectifs de sous-officiers de gendarmerie (74 505) et ceux du corps d’encadrement et d’application (gradés et gardiens de la paix, soit 102 896), on obtient un total de 177 401. Par conséquent, les agents de police municipale ne peuvent représenter plus de 10,24 % de ce total (moins de 7,5 % de l’ensemble des effectifs).

 

En sus, la diversité est de mise entre les polices municipales. Les effectifs sont ainsi très variables d’une localité à l’autre. Sur l’ensemble des communes nanties d’une police municipale, la moitié ne dispose que d’un ou deux agents alors qu’une dizaine de villes, dont Lille et Orléans, en ont au moins 100. La répartition géographique des polices municipales est également très inégale sur le territoire national ; elles sont principalement implantées dans le Midi et en région parisienne. Il est aussi intéressant de noter que la fonction publique territoriale représente un tiers des emplois publics (Bulletin d’informations statistiques de la DGCL n°63 d’octobre 2008) mais la filière police municipale représente seulement 1,3 % de cet ensemble. Il eût aussi été opportun de rapporter le nombre de localités disposant d’une police municipale au nombre total de communes : moins de 3 500 contre 36 783 (dont 212 en outre-mer), soit moins de 10 %... Preuve que les polices municipales constituent un épiphénomène dans le monde de la sécurité.

 

Le débat parlementaire actuel est donc faussé, pour ne pas dire tronqué puisque fondé sur un constat erroné. Mais il est vrai que les Alpes-Maritimes sont précurseur dans le mélange des casquettes ; la région PACA alignant les plus forts bataillons d’agents de police municipale, comment pourrait-il en être autrement ? Néanmoins, un élu de la République, membre de la Représentation nationale, ne devrait-il pas être capable de prendre plus de hauteur sur les sujets qu'il aborde plutôt que de se contenter d'une vision parcellaire de pratiques appliquées sur sa propre circonscription ? De même, il faut dénoncer la pernicieuse confusion qui règne dans l'esprit de nombre de concitoyens entre la police nationale et les polices municipales, et les abus qui en découlent. Ces deux corps n'ont pas les mêmes compétences, mais leur homonymie engendre l'amalgame. Or, les partisans des polices municipales affectionnent, voire entretiennent savamment cette méprise. Enfin, dans un rapport remis début 1998 au ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, l’inspecteur général Jacques Genthial précisait : « Un des points faibles des polices municipales est la dévotion sans faille, voire le culte, que les agents portent à leur maire. On sait que parmi ces derniers, certains abusent de leur position, mais il s’agit manifestement d’un nombre négligeable d’élus. »

 

Simultanément, les élus locaux s’inquiètent du désengagement de l’Etat. Ainsi, Laurent Grelaud, maire de Bonsecours (commune qui a perdu son bureau de police il y a déjà plusieurs mois) s'inquiète de cette situation. « Avec des postes de police répartis un peu partout sur le territoire, on offre de la proximité et de la sécurité. Maintenant, on doit compenser avec notre police municipale. Mais elle n'a pas les mêmes pouvoirs. On risque de voir augmenter la délinquance, le bureau de police jouait un rôle de dissuasion. » (Paris Normandie, 27 avril 2009). D’ailleurs, les communes n’ont ni la possibilité, ni la volonté de se substituer à l’Etat ou de compenser le désengagement croissant de ce dernier en matière de sécurité (même si celui-ci tente de se défausser davantage sur elles et le secteur privé tout en se réservant les lauriers en cas de succès). Pourtant, force est de constater l’activisme effréné du lobby des polices municipales à tous les échelons[1]. Dernier exemple en date : l’intervention de Patrick Balkany, député-maire UMP de Levallois-Perret dans les Hauts-de-Seine, pour permettre aux agents de police municipale d’accéder aux fichiers de la police nationale (question n°69365 en date du 26 janvier 2010). Démagogie sécuritaire ou stratégie délibérée – mais inavouée – visant à balkaniser la police pour, in fine, remplacer la police nationale par des polices municipales ?

 

Face à cet indéfectible soutien politique, il ne faut pas s’étonner que « Les policiers municipaux réclament un alignement des grilles indiciaires sur la police nationale et une intégration de leurs primes dans les calculs des droits à la retraite », comme le titre La Gazette des communes suite à la manifestation lancée le jeudi 4 février 2010 à l’initiative du SNPM-CFTC. « Nous faisons le même travail que les policiers et les gendarmes nationaux », clame même Frédéric Foncel, vice-président du Syndicat national des policiers municipaux. Surprenante allégation qui amène cette interrogation : les gardiens de police municipale ont-ils les mêmes prérogatives que les gardiens de la paix ? La réponse est actuellement non. Pis, ils ont moins de pouvoirs que les gardes champêtres !

 

Les polices municipales assurent la majorité de la présence sur la voie publique ? Pieux mensonge d’un thuriféraire des polices municipales… Mais il est vrai qu’en certains endroits, sur commande politique ou pour des raisons de mésentente entre individus, les agents de police municipale (APM) d'une ville peuvent se donner le mot (la nuit, par exemple) pour réaliser un maximum d'interpellations (infraction à la législation sur les stupéfiants, conduite sous l'empire d'un état alcoolique, tapage, etc.) ; ce type d'interpellations est assez simple à réaliser, d’autant qu’il ne nécessite qu’un simple rapport de mise à disposition de la part des APM[2]. La conséquence de cela est que les policiers nationaux se trouvent alors complètement submergés par le travail apporté par les APM et n'ont dès lors plus qu'une malheureuse petite patrouille sur la voie publique. Ajoutons à cela quelques contraintes supplémentaires gérées par la police nationale (PN) sur la même vacation nocturne ou diurne d'ailleurs (garde d'un détenu hospitalisé, garde d'un détenu présenté à un magistrat, déclenchement d'alarme dans un bâtiment public type préfecture ou banque de France…) et, là, le système est complètement en croix pendant que la PM occupe la voie publique. Détail d’importance : si les individus interpellés par la PM sont mis en garde à vue, ils sont gardés dans les locaux de la PN. Or, les gardes à vue n’ont-elles pas explosé ces dernières années[3] ?

 

Autre précision : les APM ne sont pas soumis aux interventions dites de « police secours » puisque les appels du 17 arrivent dans les commissariats de PN. Hélas, là aussi, lorsque les commissariats sont débordés pour diverses raisons, il arrive bien souvent que le Centre d'Information et de Commandement où arrivent ces appels missionne des policiers municipaux pour faire l'intervention. Là aussi, c'est une dérive réelle qui augmente de fait le risque pour les PM.

 

Quid des pouvoirs des APM ? Selon l’article 21 du Code de procédure pénale (CPP), les agents de police municipale (APM) appartiennent à la catégorie des agents de police judiciaire adjoints (APJA21) et non à celle d’APJ20 à l’instar des gardiens de la paix et gendarmes. L'APM ne peut donc pas prendre de plainte, ni rédiger un procès-verbal d'interpellation ou prendre une audition… Bien évidemment, en cas de flagrant délit, ces fonctionnaires territoriaux peuvent, comme tout citoyen en application de l’article 73 du CPP, appréhender le malfaiteur et le présenter immédiatement à un officier de police judiciaire[4]. Dans un autre ordre d’idées, l’article 21 du CPP n’exige pas que les agents de police judiciaire adjoints, pour exercer effectivement leurs attributions, soient affectés à un emploi comportant cet exercice. Un APM affecté à un emploi de bureau peut donc exercer sans autre formalité ses attributions de police judiciaire. Les gardes champêtres appartiennent quant à eux, selon les articles 22 à 25 et 27 du même code, à la catégorie des fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire et plus précisément à celle des ingénieurs, chefs de district et agents techniques des eaux et forêts et des gardes champêtres.

 

A contrario, force est de reconnaître que les prérogatives des APM au regard du Code de la route sont proches de celles des fonctionnaires de l’Etat (mais des exceptions demeurent comme l’intervention sur autoroute). Selon l’article R.130-2 du Code de la route, les APM peuvent, en effet, constater par procès-verbal (PV) toutes les contraventions de la partie réglementaire du Code de la route, à quelques exceptions édictées par ledit article. Mais, astuce juridique, ce qui ne peut être constaté par PV peut toujours l’être par rapport puisque les exceptions de l’article R.130-2 ne le sont que pour la constatation par PV. Cependant, cette faculté ne permet pas aux APM de procéder d’initiative à des contrôles routiers en l’absence d’une infraction (pas de pouvoir de recherche, d’investigation, uniquement du flagrant délit, la dite notion de délit étant générale et visant les contraventions comme les crimes). Néanmoins, les fonctionnaires territoriaux peuvent arrêter un véhicule dont le conducteur n'a commis aucune infraction préalable, ceci dans le but de vérifier si ce dernier est bien détenteur du permis de conduire puisque les gardes champêtres et les agents de police municipale sont habilités à constater la violation des dispositions de l'article R.233-1 en application des dispositions des articles R.130-1 à R.130-3 du Code de la route.

 

Dernier point : les buts de la police municipale, énoncés à l’article L2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), sont le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Mieux, l’intervention de la police municipale se fait dans un cadre coordonné avec les autres forces de police et de gendarmerie. En effet, conformément aux dispositions de l'article L.2212-6 du CGCT, une convention définissant la nature et les lieux des interventions des agents de police municipale est signée entre le préfet et le maire, après avis du procureur de la République ; elle est obligatoire pour les services de police municipale qui excèdent cinq agents ou dont les fonctionnaires sont armés. Mais ladite convention spécifie aussi dans son préambule : «  En aucun cas, il ne peut être confié à la police municipale de mission de maintien de l'ordre » (cf. décret n°2000-275 du 24 mars 2000).

 

Pour conclure, je poserai une question : Les agents de police municipale revendiquent aujourd’hui les mêmes droits et avantages sociaux que les policiers nationaux mais dans cette perspective, sont-ils prêts à perdre leur droit de grève[5] ?

 

 

Nota Bene : cet article a été publié pour la première fois le 14 février 2010 sur le blog de Georges Moréas, Commissaire principal honoraire de la Police nationale :

http://moreas.blog.lemonde.fr/2010/02/14/la-police-munici...


 


[1] Sécurité : le lobbying des policiers municipaux

http://phmadelin.wordpress.com/2009/01/26/securite-le-lob...

 

[2] La circulaire du ministère de l’Intérieur du 26 mai 2003 (INT D0300058C) précise « que, dès lors qu’ils ont remis à la police ou à la gendarmerie nationale les délinquants interpellés en état de flagrance, les agents de police municipale ne sont plus compétents. Il revient alors à ces services de décider des suites à donner (mesures de garde à vue notamment) et de conduire les enquêtes diligentées par le parquet. Les missions des agents de police municipale ne leur confèrent pas, en effet, de pouvoirs d’investigation » (page 5).

 

[3] « La garde à vue ? Une politique du chiffre » : paroles de flic

http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/126520...

 

[4] La circulaire du ministère de l’Intérieur du 26 mai 2003 spécifie, néanmoins, que « cette possibilité offerte à tout citoyen devient une impérieuse nécessité pour les agents de police municipale, qui sont des acteurs à part entière de la sécurité publique » (page 4).

 

[5] A ce sujet, je me permets de retranscrire, avec son accord, les propos d’un fonctionnaire de police :

 

« Les fonctionnaires de la police nationale ont perdu leur droit de grève en 1948. En contrepartie, ils ont obtenu quelques avantages dans le cadre d'un statut spécial.

 

Contraintes du statut de 1948 : Interdiction du droit de grève, disponibilité pour le service, durée d'affectation, mobilité, horaire atypiques, astreintes, permanences.

 

Avantages : Bonification du 1/5ème pour la retraite (le policier bénéficie une annuité supplémentaire tous les cinq ans dans la limite de cinq années), limite d'âge à 55 ans, indemnité de sujétions spéciales police dite ISSP (qui représentera bientôt 26 % du salaire), grille indiciaire dérogatoire à la grille type de la Fonction publique.

 

Souvent improprement appelée « prime de risque », l’ISSP n’est, en réalité, qu’une prime destinée à compenser le fait que les fonctionnaires de police n'ont pas le droit de grève. Les policiers ne bénéficient donc pas de prime de risque, hormis les membres de corps d’élite comme le RAID, même si, de mémoire, elle est assez ridicule.

 

Par contre, le fait que la prime principale, l'ISSP, soit intégrée au calcul de la pension n'a rien à voir avec le statut spécial. Ce fait découle de textes de 1982 pris suite à des revendications de longues dates de la FASP. Il s'agit effectivement d'une grande victoire syndicale mais il faut savoir tout de même que nous finançons en grande partie cette réforme puisque nous cotisons davantage que les fonctionnaires des autres ministères pour la retraite. »

Les commentaires sont fermés.