22/06/2011
POLICES MUNICIPALES : LA SALADE NIÇOISE
La montagne a accouché d’une souris, telle est la conclusion des premières rencontres de la police municipale organisées à Nice, jeudi 16 juin 2011, sous la présidence de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur. D’ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement puisque l’intitulé même de cette manifestation était déjà erroné ! Il y avait, en effet, eu un précédent avec les premières assises nationales des polices municipales organisées à Châlons-sur-Saône le mardi 20 septembre 2005.
Présenté comme la grand-messe de la police municipale [1], le symposium niçois a sombré dans le burlesque, la fadaise rivalisant avec la galéjade. Hâbleur, le député-maire UMP de la cité azuréenne, Christian Estrosi, a, néanmoins, reconnu que « Cette action n’est pas neutre, elle rentre dans le cadre de la volonté présidentielle » [2]. Sous la plume de Jean-Marc Leclerc, Le Figaro surenchérit : « Le député maire UMP de Nice, Christian Estrosi, offrira jeudi dans sa ville une tribune de choix au ministre de l’intérieur qui doit présider les premières Rencontres nationales de la police municipale » [3]. Il est vrai, comme l’écrit pertinemment Eric Nunès, que « Pour le ministre de l’Intérieur, l’occasion est belle, à un an de l’élection présidentielle, d’opérer une tentative de rapprochement avec 18 000 policiers et une dizaine de milliers d’agents de surveillance [donc d’électeurs potentiels], autant d’acteurs des forces de proximité qui, depuis plusieurs années, s’estiment en manque de reconnaissance » [4]. D’ailleurs, le quotidien Nice Matin titre dans son édition du 17 juin 2011 : « Nice : Guéant en précampagne ». Las, aussi fidèle soit-il, Claude Guéant n’est pas Nicolas Sarkozy : il n’a ni la verve, ni le charisme de son champion, et cette opération de communication politique a tourné, au final, au naufrage, échouant sur le double écueil de l’armement et du volet social.
L’UMP et certaines organisations syndicales de police municipale n’avaient pourtant pas ménagé leurs efforts au cours des semaines précédentes ! Ainsi, se congratulant mutuellement, Christian Estrosi et Frédéric Foncel, agent territorial à Cannes et président du Syndicat national des policiers municipaux (SNPM-CFTC), ont présenté conjointement l’initiative du maire de Nice lors d’une conférence de presse à Paris le 17 mai 2001 [5]. D’ailleurs, le SNPM se félicite d’avoir été reçu par l’UMP [6] et même à l’ÉLYSÉE [7] ! De son côté, le Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM) encense Jean-Paul Garraud [8]. Député de la Gironde, cet ancien magistrat est l’un des membres fondateurs du collectif de la droite populaire et secrétaire national de l'UMP délégué à la Justice, pilier du noyau dur de la droite, réputé proche du pouvoir. A l’instar de Patrick Balkany [9], député-maire UMP de Levallois-Perret, ou d’Eric Ciotti, député UMP des Alpes-Maritimes et rapporteur de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (plus connue sous l’acronyme Loppsi 2), Jean-Paul Garraud réclame davantage de pouvoirs pour les policiers municipaux ; il souhaite voir les directeurs de police municipale passer OPJ (officiers de police judiciaire) et les policiers municipaux APJ (agents de police judiciaire) [10]. Il promeut également la création d’une police territoriale [11] et c’est dans cette perspective que l’a rencontré Cédric Michel, président du SDPM [12]. Ce projet est d’ailleurs jugé « très intéressant » et allant « dans le bon sens » par le Syndicat indépendant de la police municipale [13] (SIPM), affilié à la Fédération professionnelle indépendante de la police (FPIP), qui s’était déjà positionné à ce propos [14]. Tandis que « Guéant et Estrosi vantent la police municipale » [15], Bruno Beschizza, secrétaire national de l'UMP chargé de l'emploi des forces de sécurité, affirme dans Le Figaro que « Le port d'arme pourrait devenir la règle » [16]. La presse s’emballe à son tour et les titres fleurissent à foison : « Guéant au chevet de la police municipale », annonce Europe 1. « La police municipale en mal de reconnaissance », déplore Nice Matin. Même plainte au Figaro : « Les policiers municipaux en quête de reconnaissance ». « Les polices municipales vont être musclées », écrit de son côté Joel Cossardeaux dans Les Echos, tandis que le journal L’Alsace déclare que « Le gouvernement serait prêt à armer les 20 000 policiers municipaux » et que La Dépêche du Midi s’interroge : « Faut-il armer la police municipale ? » La question ne se pose même pas pour Le Figaro : « Guéant va renforcer l’arsenal des polices municipales » !
Cependant, dans ce concert panégyrique, une voix manque à l’appel ou est inaudible : celle de Jean-Claude Bouchet, député-maire UMP de Cavaillon, pourtant intronisé secrétaire national de l’UMP (un de plus !) en charge des polices municipales [17] par Jean-François Copé, poste qui devait lui permettre « de mieux appréhender au niveau national les attentes et besoins de la profession » (sic).
MISE EN DEMEURE ET FIN DE NON-RECEVOIR
Néanmoins, les esprits s’échauffent tant l’irruption semble imminente : le Big One tant espéré se profile pour la profession ! L’ébullition est telle que Frédéric Foncel, président du SNPM-CFTC, adresse une véhémente mise en demeure au président de l’AMF (Association des maires de France) [18], Jacques Pélissard, député-maire UMP de Lons-le-Saunier dans le Jura. Certain d’avoir « des alliés tant politiques que spécialistes ou homologues » [19], il énonce ses exigences (notamment gilet pare-balles et armement de 4ème catégorie individuels et obligatoires, ISF automatique et portée au taux maximum pour tous les agents de police municipale, relèvement de l’indice terminal de la catégorie C, intégration des primes dans le calcul des droits à la retraite des policiers municipaux) sous la forme d’un ultimatum : « Monsieur le Président, nous mettons en demeure l’AMF de réviser ses réflexions, (non pas dans 6 mois, un an ou aux calendres grecques, mais immédiatement) sur la police municipale et sur les personnels qui la composent. […] nous osons espérer que le jeudi 16 juin 2011 à Nice, lors des Premières Rencontres Nationales de la Police Municipale organisées par Monsieur le Député-maire Christian ESTROSI, vous abonderez entièrement dans le sens des propositions de notre organisation syndicale qui ont vivement retenu l’attention de nombreux Maires et élus de tous bords. » Et le président du SNPM conclue sur un ton aigre-doux, voire menaçant : « Monsieur le Président, rappelez-vous que les policiers municipaux "de la France d’en bas" sont des fonctionnaires territoriaux et que dans l'avenir ils occuperont toujours leur poste… Ce qui n’est pas garanti pour tout élu quel qu’il soit, notamment les parlementaires !!! » Le président de l’AMF en tremble encore…
Alors que la tension semble avoir atteint son paroxysme, le SDPM remarque, non sans ironie, que « Certains adressent des "mises en demeure" qui certainement font trembler leurs destinataires (!!!), surtout que l'on ne voit pas très bien quels sont leurs recours en cas de non réponse, ou de refus... Pendant ce temps, le SDPM ne brasse pas de l'air : il démontre, une fois de plus, qu'il est le seul à réellement travailler en faveur des policiers municipaux, avec des actions concrètes. » [20]
On connaît la suite. Cependant,le SNPM n’en est pas à son coup d’essai. Ainsi, au mois de mars 2010, pouvait-on lire dans les colonnes du quotidien L’Union : « La municipalité [de Château-Thierry] est "mise en demeure de faire immédiatement supprimer l'appellation « police rurale » du service représenté par (votre) garde champêtre." L'injonction vient du SNPM-CFTC, le syndicat national des policiers municipaux. Ce dernier ne reconnaît pas la dénomination de « police rurale » qu'arbore fièrement Noël Scherrer, sur sa tenue de garde champêtre. […] Les représentants syndicaux de la police municipale militent pour la fusion des cadres d'emploi. Ils ont bien conscience que les villes de moyenne importance comme Château-Thierry, optent pour la création de postes de garde champêtre plutôt que d'une police municipale pour des raisons financières. » [21]
Par conséquent, beaucoup ont dû s’étrangler de rage ou d’indignation quand « quelques gardes champêtres (quatre) en tenue d’uniforme [ont gravi] les marches du Palais des congrès de Nice, avec une haie d’honneur d’agents de la Police municipale, moment d’émotion mais aussi de fierté » (dixit Paul Chevrier, garde champêtre de Valberg et Secrétaire général du Syndicat national autonome des gardes champêtres contemporains ou SNAGCC), d’autant qu’en aparté, le général de division David Galtier, de la DGGN, leur assura son soutien en ces termes : « Continuez ! La Gendarmerie a besoin des gardes champêtres ! » [22]
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17/06/2011
BRÈVE HISTOIRE DE LA POLICE
L’inénarrable Patrick Balkany a encore frappé ! Ce n’est un secret pour personne : le député-maire UMP de Levallois-Perret est un farouche partisan des polices municipales ; ce fidèle zélateur est même l’un de leurs principaux soutiens politiques [1]. D’ailleurs, la polémique sur le pistolet à impulsions électriques (PIE) fut l’un des épisodes révélateurs : « Avec le Taser, nous renforçons leur équipement, se réjouit le député-maire UMP de Levallois. C’est une arme intermédiaire. Nos policiers [municipaux] ont déjà la panoplie complète ! » (Le Parisien, 9 septembre 2008) et les journalistes du quotidien francilien de remarquer : « Ici, difficile de distinguer rapidement un policier municipal d’un national. » [2] En outre, ce professionnel de la politique a présenté ou signé plusieurs propositions de loi en faveur des polices municipales telles que la proposition n°2604 enregistrée le 9 juin 2010 visant à généraliser le port d’armes des policiers municipaux ou celle du 30 mars 2011 tendant à créer la Médaille d’honneur de la police municipale (proposition n°3267). Enfin, son engagement aux côtés des syndicats dits professionnels (par opposition aux organisations généralistes que sont les grandes centrales syndicales) est indéniable et constant [3] ; il est particulièrement réactif à ce sujet. Ainsi, lors du drame de Villiers-sur-Marne, qui coûta la vie à Aurélie Fouquet, Patrick Balkany dépose le jour même à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à intégrer les indemnités spéciales de fonctions des policiers municipaux dans le calcul de leur pension de retraite [4], suivie le lendemain d’une seconde proposition relative au port d’armes [5] avant de réitérer son soutien à la profession une semaine après [6].
Ce sympathisant assumé des polices municipales, auteur d’un rapport en la matière, réclame depuis longtemps davantage de pouvoirs pour les policiers municipaux (« Patrick Balkany : "Il leur faut davantage de pouvoirs" » in L’Humanité, 29 octobre 1993). Il était donc vraisemblable que ses exigences rencontrent un écho favorable lors des premières rencontres nationales de la police municipale, organisées ce jeudi 16 juin 2011 à Nice, fief de son compère Christian Estrosi. Or, ce sympathique politicien a suscité l’ire des syndicats de police nationale pour une raison tout à fait différente. Le parlementaire UMP a, selon eux, déclaré à la tribune qu'il « en avait assez d'entendre les syndicats de police (nationale) incarner la police républicaine » alors que celle-ci est « issue d'une réforme datant (du gouvernement) de Vichy en 1942 » [7]. On peut assimiler ses déclarations à la tactique classique des thuriféraires des polices municipales qui rehaussent celles-ci en dénigrant la police nationale à travers la dénonciation de ses insuffisances, de ses bavures ou de sa naissance.
De tels propos doivent, cependant, être nuancés d’un point de vue historique. En effet, si l’on peut faire remonter la définition des pouvoirs de police du maire au décret du 22 décembre 1789, donc à la Révolution, la police municipale fut plus clairement instituée en 1884, précisément par la loi du 5 avril 1884. Cette dernière est donc antérieure à la police nationale. Cela dit, HISTORIQUEMENT, C’EST LA POLICE NATIONALE QUI EST MODERNE ET NON LA POLICE MUNICIPALE dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Le XIXème siècle voit le début d’un mouvement d’étatisation des polices municipales d’un certain nombre de grandes villes ou de communes appartenant à la conurbation parisienne, qui se poursuit au XXème siècle. Citons à titre d’exemples : Lyon en 1851, Marseille en 1908, Toulon en 1918, Nice en 1920, Strasbourg, Mulhouse et Metz en 1925, etc. Les raisons de cette évolution sont intéressantes. En 1907, une commission que nous devons à Georges Clémenceau concluait à la nécessité d’étatiser les services de police municipale en raison de leur inefficacité, de leur inadéquation aux problèmes posés et de la trop grande proximité entre l’opérationnel et le politique. Il faut aussi rappeler qu’aux reproches déjà énoncés s’ajoutait celui d’un classement sans suite des plaintes des victimes très important. En 1935, la quasi-totalité des communes de Seine-et-Oise et quatorze communes de Seine-et-Marne étaient à leur tour étatisées pour assurer à leurs habitants le même niveau de sécurité qu’à Paris. L’argument de l’égalité face à la sécurité était déjà avancé. Il est toujours d’actualité, car l’écart entre villes riches et villes pauvres n’a cessé de progresser. C’est donc la recherche d’une réponse pertinente à une problématique correctement identifiée qui a conduit à l’étatisation des services de police municipale. Par conséquent, lorsque la loi du 23 avril 1941 crée la police nationale, l’Etat français n’innove pas mais achève l’œuvre entreprise par la défunte IIIe République, République soucieuse d’égalité et d’efficacité. Une remarque néanmoins : si le régime de Vichy établit que toutes les villes de plus de 10 000 habitants verront leur police étatisée, cette réforme ne s’applique pas à l’ensemble du territoire vu qu’une moitié du pays est alors contrôlée par l’occupant allemand. Cette loi ne concerne donc pas Paris et la police parisienne (PP) conservera longtemps sa spécificité ; il faudra attendre la loi du 10 juillet 1966 (à la suite des dysfonctionnements policiers révélés en 1965 par l’affaire Ben Barka) pour que soit créée l’actuelle police nationale, réalisant la « fusion » de tous les services de police (hormis les polices municipales qui, tel le légendaire phénix, ont repris leur envol depuis le début des années 1980, précisément après les élections municipales de 1983).
Dernier point : à propos du comportement des agents municipaux vis-à-vis du gouvernement de Pétain, citons simplement un extrait d’un document réalisé en juin 1942 par le ministère de l’Intérieur de Vichy, une synthèse des rapports mensuels des préfets de la zone occupée. Ainsi peut-on lire à la rubrique « Personnel » du « III – QUESTION CONCERNANT LA POLICE » : « La principale question soulevée dans les rapports mensuels est celle du personnel des polices municipales. Les Préfets se montrent inquiets de la médiocrité des agents municipaux et expriment le souhait que la prochaine étatisation de la police leur permette de disposer d’un personnel de qualité. […] L’exode vers la Police d’Etat se manifeste non seulement chez les candidats à la police mais encore chez les agents en place, soit qu’ils le sollicitent, soit qu’ils y soient appelés. De ce fait, un certain nombre de fonctionnaires de la police sont mutés dans leur affectation actuelle dans des postes déjà étatisés. Plusieurs Préfets s’élèvent contre cet état de choses notamment le Préfet de Maine-et-Loire, qui signale que prochainement, en raison des départs des agents de la ville d’Angers vers la Police d’Etat, il ne restera, dans cette ville que 52 agents pour une population de 100 000 habitants. En conclusion de leurs rapports, les Préfets émettent qu’une prochaine et rapide étatisation de la police mette un terme à cette situation. » [8]
[1] Laurent Opsomer, « Sécurité : le lobbying des policiers municipaux » in Dans le secret des faits, blog du journaliste Philippe Madelin, 26 janvier 2009.
http://phmadelin.wordpress.com/2009/01/26/securite-le-lob...
[2] Laurent Opsomer, « Sécurité : le débat sur le TASER s’envenime » in Dans le secret des faits, blog du journaliste Philippe Madelin, 4 mars 2009.
http://phmadelin.wordpress.com/2009/03/04/securite-le-deb...
[3] SDPM (Syndicat de défense des policiers municipaux), « Le Député-Maire de LEVALLOIS écrit au SDPM », 9 février 2011.
http://www.sdpm.net/article-le-depute-maire-de-levallois-...
[4] « Patrick BALKANY s’engage pour les policiers municipaux » in Faisons de la politique ensemble, 20 mai 2010.
http://pbalkany.blogs.com/blog_de_patrick_balkany/2010/05...
[5] « Drame de l'A4 : Proposition de loi de Patrick BALKANY visant à généraliser le port d'arme des policiers municipaux » in Faisons de la politique ensemble, 21 mai 2010.
http://pbalkany.blogs.com/blog_de_patrick_balkany/2010/05...
[6] « Mon engagement en faveur des policiers municipaux » in Faisons de la politique ensemble, 28 mai 2010.
http://pbalkany.blogs.com/blog_de_patrick_balkany/2010/05...
[7] « Balkany rappelle les origines vichyssoises de la police nationale » in Le Point.fr avec AFP, 16 juin 2011.
http://www.lepoint.fr/societe/balkany-rappelle-les-origin...
[8] La France dans la Deuxième Guerre mondiale, édition des rapports du Militärbefehlshaber Frankreich et des Synthèses des rapports des préfets, 1940-1944
01:57 Publié dans Perso, Politique, Sécurité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : patrick balkany, police municipale, police nationale, histoire