22/03/2021

CONTRÔLE SOCIAL

Ces vingt dernières années, l’Etat a multiplié les possibilités de créer des polices municipales communes à plusieurs localités (article L512-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure), d’autant que les policiers municipaux ne lui coûtent rien. Quatre villes du Valenciennois, Anzin, Beuvrages, Petite-Forêt et Raismes, ont ainsi mis en commun leurs agents afin de créer une police pluricommunale.¹ Cette mutualisation présente des avantages : coût moindre pour les budgets communaux, amplitude horaire plus large et effectifs plus importants sur le terrain, d’où une « force de frappe efficace » (dixit Philippe Gouget, chef de cette police intercommunale). Mais elle présente aussi des inconvénients moins avouables : avantages financiers et/ou matériels à consentir pour recruter et retenir ces fonctionnaires territoriaux car le métier est en tension, dilution de l’autorité des maires, moindre connaissance du territoire par les agents, distanciation de la population et fin de la police de proximité tant vantée par les thuriféraires des polices municipales. La volonté des édiles de doter leurs agents de pistolets à impulsions électriques (une arme de poing plus communément appelée « Taser », assimilée à « une forme de torture » par l’ONU² fin 2007 et régulièrement dénoncée par Amnesty International et la Ligue des Droits de l’Homme) n’est pas anodine, bien au contraire ! Elle démontre qu’ils assignent à leurs policiers municipaux un rôle de « flics shérifs » polarisés sur le contrôle social et non plus le raffermissement du lien social. Choix étrange pour des municipalités classées à gauche.

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¹ Murielle Tison-Navez, « Sécurité. Une police commune pour Raismes, Anzin, Beuvrages et Petite-Forêt », La Voix du Nord, 8 janvier 2019.

https://www.lavoixdunord.fr/517826/article/2019-01-08/une...

Pauline Bayart, Police pluricommunale. 20 agents mobilisés pour 4 communes (Anzin, Raismes, Beuvrages, Petite-Forêt), L’Observateur du Valenciennois, 16 mars 2021.

https://www.lobservateur.fr/valenciennois/autour-de-valen...

² L’ONU qualifie l’utilisation du Taser de « forme de torture », Le Nouvel Observateur, 23 novembre 2007.

https://www.nouvelobs.com/monde/20071123.OBS6515/l-onu-qu...

09/03/2021

LA COVID A UN AN

La Covid a fêté son premier anniversaire le mois dernier. C’est, en effet, en février 2020 qu’ont été recensés le premier cluster en France, aux Contamines-Montjoie (Haute-Savoie), et le premier Français mort du coronavirus, à Crépy-en-Valois (Oise). Cet anniversaire est l’occasion d’un premier bilan concret, qui révèle trois indéniables réalités.

Premier constat : le vieillissement de la population. D’après le dernier bilan démographique de l’INSEE, publié en janvier 2021, un Français sur cinq a 65 ans ou plus, un quart de la population plus de 60 ans, le tout sur fond de baisse continue des naissances depuis six ans. (1) Or, les personnes âgées sont les principales victimes de l’épidémie de coronavirus.

Seconde vérité : la dépendance sanitaire. La disparition de la souveraineté sanitaire a été mise en évidence par les pénuries de masques, tests, vaccins, etc. Délocalisation oblige, tout est désormais importé de l’étranger. En 2020, par exemple, notre pays a déboursé pas moins de 5,9 milliards d’euros pour acheter à la Chine les masques qui nous manquaient. (2) La France est aussi le seul des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU à ne pas avoir son propre vaccin anti-covid, preuve d’une industrie moribonde.

Troisième évidence : l’impéritie politique depuis 20 ans, responsable de la déliquescence du système hospitalier français. Conséquence de cette gestion libérale, la France ne dispose que de 5.080 lits de réanimation pour une population de plus de 67 millions. (3) Aucun progrès n’a été réalisé en un an dans ce domaine. A titre de comparaison, notre pays compte 7 lits de réanimation pour 100.000 habitants, contre 10 en Angleterre ou en Espagne et 24 en Allemagne… (4) Or, c’est à l’aune de cette jauge de 5.080  lits que découlent toutes les restrictions de libertés, notamment celle de circuler avec le couvre-feu et le confinement, sans oublier les fameuses attestations de déplacement, nos « ausweis » nationaux sous peine de contravention et de prison.

 

(1) Bilan démographique 2020, Insee Première n°1834 du 19 janvier 2021.

https://www.insee.fr/fr/statistiques/5012724

 

(2) « Les masques font leur trou » in Le Canard enchaîné n°5231 du 10 février 2021.

 

(3) « Ils ont tué l’hôpital ! », 14 octobre 2020.

https://blogs.mediapart.fr/laurent-opsomer/blog/141020/il...

 

(4) « Castex et Véran n’en ont "réa" à cirer » in Le Canard enchaîné n°5232 du 17 février 2021.

11/12/2019

MUNICIPALES 2020 : PRIORITÉ À LA SÉCURITÉ ?

« Les sondages, c'est pour que les gens sachent ce qu'ils pensent », disait Coluche. D’après un sondage Odoxa réalisé pour Fiducial par internet en juillet 2019, sur un échantillon national de 1004 personnes (la population française est de 67 millions), la sécurité serait le premier enjeu des élections municipales en 2020. [1] À l’approche de celles-ci, des candidats promettent donc de créer une police municipale tout en baissant les impôts. Cette démagogie politicienne impose quelques éclaircissements.

CONFUSION DES POLICES

Il faut dénoncer la pernicieuse confusion qui règne dans l'esprit de nombre de concitoyens entre la police nationale et les polices municipales. Ces deux corps n'ont pas les mêmes compétences, mais leur homonymie engendre l'amalgame. Or, les partisans des polices municipales affectionnent, voire entretiennent savamment cette méprise. Rappelons que les missions des policiers municipaux sont définies aux articles L511-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) et L2212-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). D’ailleurs, ces agents de police judiciaire adjoints ne peuvent pas réaliser d’enquêtes judiciaires, ni enregistrer de plaintes. 

UNE POLICE DES PV

Selon le rapport public annuel de la Cour des comptes de 2014, les polices municipales réalisent plus du tiers des contraventions (36 %), soit plus que les radars automatiques (31,5 %) ! Avec la neutralisation de radars durant le mouvement des Gilets jaunes et la généralisation de la verbalisation électronique, il est probable que ce pourcentage soit aujourd’hui supérieur. Cette réalité prend parfois des formes extrêmes. Ainsi, à Angoulême, la « contredanse » est un moyen de pression des policiers municipaux sur leur hiérarchie, à savoir les édiles, en verbalisant à outrance les habitants. [2] 

QUID DE L’ARMEMENT ?

Même si les policiers municipaux dégainent plus souvent la « prune » qu’une arme, se posera invariablement la question de l’armement, d’autant que c’est un élément discriminant pour le recrutement. 53 % des services de police municipale sont aujourd’hui dotés d’une arme de poing. Mais force est de constater le silence des tenant du revolver à la ceinture sur le coût pour la collectivité (acquisition, stockage, formation…), ni ses conséquences : subordination à la police nationale, dérive vers le maintien de l’ordre (pourtant interdit aux polices municipales) avec l’emploi du funeste lanceur de balles de défense [3], ni les risques tels que le vol d’arme à feu à l’exemple de Gauchy [4] ou même le suicide avec l’arme de service comme à Béziers, Avignon, Gardanne ou au Pradet. [5] 

PLUS DE SÉCURITÉ ?

L’association Villes de France, présidée par Caroline Cayeux, sénatrice-maire de Beauvais,  a constaté que la création d’un service de police municipale s’accompagne d’une baisse des effectifs locaux de la police nationale ou de la gendarmerie sur le terrain. [6] De leur côté, les syndicats de policiers municipaux, auditionnés à l’Assemblée nationale le 2 avril 2019, déplorent le manque de coopération avec les forces de l’Etat. [7]

En outre, à moins de disposer d’un effectif pléthorique, la police municipale est habituellement ouverte aux heures de bureau du lundi au vendredi.

Les compétences judiciaires des agents de police municipale étant bien moindres que celles des gardiens de la paix (cf. supra), créer une police municipale revient donc à financer une sécurité de moindre qualité aux frais et aux dépens des contribuables. 

LA POLICE DU MAIRE

Dans un rapport sur les polices municipales remis en 1998 au ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, l’inspecteur général Jacques Genthial précisait : « Un des points faibles des polices municipales est la dévotion sans faille, voire le culte, que les agents portent à leur maire. On sait que parmi ces derniers, certains abusent de leur position, mais il s’agit manifestement d’un nombre négligeable d’élus. » Le maire est, en effet, le patron de la police municipale.

Si la profession s’est structurée et professionnalisée depuis cette date, des dévoiements sont toujours possibles, même en toute légalité. Ainsi, le maire peut-il faire appel à ses policiers pour expulser manu militari journaliste ou opposant trop virulent lors d’un conseil municipal (article L2121-16 du CGCT). D’ailleurs, des faits divers émaillent régulièrement la presse d’une utilisation personnelle de la police municipale à des fins politiques ou non. [8] 

MERCATO DES POLICIERS MUNICIPAUX

En 2018, Villes de France évaluait le budget moyen annuel (charges de personnel incluses) d’une police municipale à 880 000 euros. La profession étant en tension, il y a un véritable mercato des policiers municipaux avec une féroce concurrence entre les communes pour recruter et retenir leurs agents tant la pénurie est grande. Résultat : les villes se battent pour attirer des agents de plus en plus exigeants (salaire, primes, logement, armement…). [9] 

QUI SACRIFIER ?

Pas un mot sur le coût d’une police municipale alors que les ressources communales sont menacées en raison de la suppression de la taxe d’habitation et de la baisse des dotations de l’Etat. Or, pour financer leur police municipale, quels services aux habitants seront réduits ou supprimés ? Quelles associations seront sacrifiées ? 

Finalement, créer une police municipale revient à consentir et entériner le désengagement de l’Etat pour aboutir à une sécurité de moindre qualité. 

À l’inverse, l’absence de police municipale ne signifie pas l’absence d’engagement dans le champ de la sécurité quotidienne et de la prévention de la délinquance. Considérant que la sécurité doit rester l’affaire de l’Etat, la commune peut jouer sur d’autres registres (partenariat, médiation, etc.) pour favoriser le vivre-ensemble.

 

 

[1] "Sécurité : tourisme et enjeux municipaux", 20 juillet 2019.

http://www.odoxa.fr/sondage/securite-tourisme-enjeux-muni...

 

[2] "Angoulême: deux policiers municipaux sèment les PV. Automobilistes et élus en colère" in Charente libre, 19 novembre 2019.

https://www.charentelibre.fr/2019/11/19/avalanche-de-pv-a...

 

 [3] Le SDPM, syndicat que l’on peut difficilement classer à gauche, dénonce cette dérive vers le maintien de l’ordre dans un communiqué en date du 6 décembre 2018.

 http://www.sdpm.net/2018/12/gilets-jaunes.html

 

[4] "Un revolver Manurhin chargé de six balles disparaît des locaux de la police municipale de Gauchy sans aucune trace d’effraction" in L’Aisne nouvelle, 2 décembre 2019.

https://www.aisnenouvelle.fr/id53500/article/2019-12-02/u...

 

[5] "Béziers : un policier municipal s'est donné la mort sur son lieu de travail dans la nuit" in Midi libre, 16 avril 2019.

https://www.midilibre.fr/2019/04/16/beziers-un-policier-m...

"Avignon : drame dans les locaux de la police municipale" in La Provence, 6 avril 2019.

https://www.laprovence.com/article/faits-divers-justice/5...

"Var : un policier municipal se suicide avec son arme de service" in Le Parisien, 27 mai 2018.

http://www.leparisien.fr/faits-divers/var-un-policier-mun...

"Gardanne : un policier trouvé mort à son poste" in La Provence, 26 août 2018.

https://www.laprovence.com/actu/en-direct/5123785/gardann...

 

[6] "Dans la plupart des villes infra-métropolitaines, il est aussi nécessaire de bien garder à l’esprit que le développement des polices municipales (4,6 policiers municipaux pour 10.000 habitants en moyenne) s’est traduit de manière concomitante par une diminution effective de la présence de terrain de la police nationale ou de la gendarmerie" (dixit Caroline Cayeux dans Panorama de la police municipale des Villes France, juin 2015).

http://www.villesdefrance.fr/upload/files/nquetePM2015.pdf

 

[7] "Police municipale : les syndicats déplorent le manque de coopération avec les forces de l’Etat" in La Gazette des communes, 4 avril 2019.

https://www.lagazettedescommunes.com/616203/police-munici...

 

[8] Mediapart a épinglé par le passé la municipalité du Cannet pour des reportages bidonnés mettant en scène ses agents, puis pour les tâches très politiques de la police municipale.

« Les reportages bidonnés du "Monsieur sécurité" de Michèle Tabarot » in Mediapart, 4 mars 2014.

https://www.mediapart.fr/journal/france/040314/les-report...

« Les employés municipaux enrôlés par la "machine électorale" des Tabarot » in Mediapart, 21 mars 2014.

https://www.mediapart.fr/journal/france/210314/les-employ...

Autre exemple de dérive à Montévrain en Seine-et-Marne où le maire avait utilisé une voiture de la police municipale, accompagné de deux agents armés, pour aller chercher son fils au lycée privé de la ville voisine.

"Montévrain. Le maire va chercher son fils au lycée de Meaux avec sa police municipale" in Le Parisien, 27 octobre 2016.

http://www.leparisien.fr/seine-et-marne-77/montevrain-771...

 

[9] "Policiers municipaux : les villes font leur mercato" in Dernières Nouvelles d’Alsace, 31 juillet 2018.

https://www.lalsace.fr/actualite/2018/07/31/policiers-mun...

"Sécurité : pourquoi la facture est si salée" in La Gazette des communes, 3 juin 2019.

https://www.lagazettedescommunes.com/624044/securite-pour...

"Les policiers font monter les enchères auprès des mairies" in Valeurs actuelles, 7 novembre 2019.

https://www.valeursactuelles.com/societe/les-policiers-fo...