16/08/2011

GENS DU VOYAGE : LA DIFFICILE COHABITATION EN PLEIN ÉTÉ

« Gens du voyage : la difficile cohabitation en plein été », titre l’Indépendant (22/07). Selon le quotidien méridional, « L’arrivée massive de caravanes de gens du voyage dans les stations balnéaires en pleine saison estivale pose problème » [1], d’autant « que près de 200 caravanes des gens du voyage sont installées illégalement sur un terrain classé Natura 2000 à quelques encablures à peine du golf de Saint-Cyprien. Si elles passent inaperçues pour la plupart des estivants, les riverains des alentours n’en peuvent plus. » Un problème récurrent puisque « les caravanes sont de retour tous les étés ». Ce fait divers rappelle le discours d’un ancien ministre de l’Intérieur qui, le 14 janvier 2003, à l’occasion du débat du projet de loi pour la sécurité intérieure à l’Assemblée nationale [2], annonçait « des mesures contre la minorité des gens du voyage qui s’installent de force sur des propriétés privées ou communales sans respecter aucune des règles de la vie en société ». Nicolas Sarkozy proposait à l’époque « de créer un nouveau délit afin de donner un cadre juridique permettant à la police et à la gendarmerie d’intervenir immédiatement, et si nécessaire de suspendre le permis de conduire et de saisir les véhicules » [3], assurant avec humour ou hypocrisie (au choix), que « Loin de porter atteinte aux droits des gens du voyage, ce texte les conforte car il est de nature à accélérer la mise en place d’aires d’accueil dans les communes. En effet, ce nouveau délit […] ne protège que les territoires communaux dont les communes ont effectivement respecté leurs obligations vis-à-vis de la loi Besson. En d’autres termes, celles qui n’auront pas créé d’aires d’accueil alors qu’elles y étaient tenues ne pourront pas invoquer leur propre manquement ». Cependant, rien n’interdit aux localités concernées de réaliser des structures sous-dimensionnées par rapport aux besoins réels, sous-équipées et surtout excentrées pour éloigner ou décourager des populations jugées indésirables et régulièrement stigmatisées (discours de Grenoble de juillet 2010, par exemple), sans oublier les édiles pratiquant délibérément - et souvent impunément - une politique discriminatoire, qui frappe indistinctement adultes et enfants [4]. Depuis 2003, d’autres textes de loi, dont la LOPPSI 2, ont renforcé l’arsenal répressif mais dans les faits, le problème reste entier…



[1] E.D., « Gens du voyage : la difficile cohabitation en plein été » in L’indépendant n°202, 22 juillet 2011, page 4.

 

[3] Des propositions dont l’implacable logique force l’admiration puisque la suspension du permis de conduire et la saisie des véhicules aboutissent… à l’immobilisation forcée des personnes que l’on souhaite expulser, qui sont dès lors contraintes de rester sur place.

 

[4] Claude-Marie Vadrot, « Gien, Loiret : protestations aux relents racistes des élus contre une réunion Tziganes en août » in Toujours plus, 25 juillet 2011.

http://pol-prod2.resaction.com/Gien-protestations-aux-rel...

 

« Interdit aux nomades » in Double Neuf, 12 juin 2011.

http://doubleneuf.nordblogs.com/archive/2011/06/11/interdit-aux-nomades.html

 

13/06/2011

LE NARVALO

Guy-Pierre Geneuil, Le Narvalo

http://filsduvent.kazeo.com/Bibliotheque-au-petit-bonheur/GENEUIL-Guy-Pierre,a485307.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy-Pierre_Geneuil

 

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Le massacre des Tsiganes

 

À partir de 1933, des Tsiganes sont internés dans les camps de concentration allemands, comme « asociaux ». À partir de 1941, en Pologne et en URSS, ils sont ponctuellement massacrés par les Einsatzgruppen *.En janvier 1942, les Tsiganes du ghetto de Lodz sont gazés à Chelmno. La déportation des Tsiganes allemands, autrichiens et tchèques est mise en œuvre sur ordre de Himmler, le 20 février 1943. Le premier « convoi Z » - pour Zigeuner, Tsiganes en allemand – arrive à Birkenau le 26 février. Sur les 23 000 Tsiganes qui aboutirent à Auschwitz, une partie fut immédiatement gazée dès l’arrivée. Mais la majorité fut immatriculée au camp. Ils ne furent pas astreints au travail forcé, contrairement aux autres prisonniers, mais connurent des conditions de détention particulièrement abjectes [des enfants tsiganes, par exemple, furent victimes d’expériences « médicales » criminelles perpétrées par le médecin SS Mengele à Auschwitz, ou le Professeur Hirt, de l’Université de Strasbourg, au camp de Natzweiler-Struthof en Alsace). Tous les détenus survivants du « camp des Tsiganes » de Birkenau (2 897 personnes) sont gazés dans la nuit du 2 au 3 août 1944.

En tout près de 250 000 Tsiganes périrent sous la botte nazie, principalement ceux du Grand Reich et de Yougoslavie.

En France, les Allemands ont obtenu de Vichy, en octobre 1940, l’enfermement des Tsiganes de zone occupée dans des camps, sous administration française.

Cependant, le seul cas avéré de déportation de Tsiganes en vue de leur extermination concerne 158 personnes arrêtées dans le Nord-Pas-de-Calais et déportées à Auschwitz en janvier 1944.

À leur arrivée, tous furent immatriculés par tatouage, y compris les bébés (ils furent tatoués sur la plante des pieds, leurs bras étant trop petits…) ; la plupart furent gazés lors de la liquidation du « camp des Tsiganes » en août.

 

*Les Einsatzgruppen (traduction littérale : « groupes d’intervention ») étaient surnommés les commandos de la mort. Ces unités mobiles d'extermination étaient des escadrons de SS et de la police allemande qui suivaient l'avancée de l'armée allemande, la Wehrmacht. Elles conduisirent des opérations d'extermination de masse.

 

Source : Yves Le Maner, Déportation et génocide 1939-1945 une tragédie européenne, La Coupole, Centre d’Histoire et de Mémoire du Nord-Pas-de-Calais, 2005, page 124.

 

12/06/2011

INTERDIT AUX NOMADES

Un coup de Roms !

 

« Nous avons vu trois wagons à bestiaux qui attendaient sur la voie. Les policiers français nous ont fait monter à bord. Ils ont fermé les portes. Après un long moment, le convoi s’est ébranlé. Nous ne savions rien de sa destination ? Nous avions seulement conscience que ce qui nous attendait était pire que ce que nous avions déjà subi. » En ce début de l’an 41, ce que la famille Gurême, française depuis cinq générations, paisible propriétaire d’un cinéma ambulant et d’un cirque, avait déjà « subi », c’était le camp de Darnétal.

Une ordonnance allemande d’octobre 40 avait décrété l’internement des Tsiganes dans des camps placés sous la responsabilité de la police française. Quels que soient leur origine et leur statut social, toutes les familles logées dans des caravanes ont alors été méthodiquement raflées. Mais ce n’était qu’un début. Entassés à 70 par wagon, après une interminable journée de voyage, les Gurême ont atterri sur l’autodrome de Linas-Montlhéry. Ce « camp d’internement de nomades » était l’un des trente et un mis en place entre 40 et 46 sur le territoire national pour y interner les 6 500 Tsiganes, romanichels, forains, clochards, tous estampillés « asociaux ».

Sous une pluie de crosses et de matraques, avec pour comité d’accueil une cinquantaine de flics et de pandores mais « pas un Allemand en vue », souligne au passage un des fils de la famille, Joseph, le narrateur, « héros » de cette glorieuse page d’Histoire de France, il leur faudra encore patienter jusqu’au lendemain matin pour un bout de pain dur arrosé d’orge grillée.

Dans les baraques, sur des lits superposés en bois, il n’y a que de la paille. « Et pas de couvertures, pas de table, pas de chaises, pas de système de chauffage non plus. » Le froid et la faim : le directeur du camp, patron du restaurant du coin qui sera décoré de la Légion d’honneur à la fin de la guerre, fait sur leur dos un trafic de tickets d’alimentation.

A l’époque, Raymond a 16 ans. Ce régime lui fait perdre 21 kilos en un an. Dans la soupe, « asticots et chenilles remontaient à la surface, se souvient-il. Au départ, nous les enlevions, mais après nous avions tellement faim que nous les mangions. Cela faisait de la viande. » Le gamin va tenter plusieurs évasions. Repris, il tâte de l’orphelinat, où une bonne sœur refuse de le nourrir : « Je ne vais pas priver "mes enfants" de nourriture alors que vous n’êtes pas en règle. »*

Raymond tire sa révérence, aide la Résistance, ce qui le conduit à la prison d’Angers puis à celle de Troyes, avant le travail forcé en Allemagne. Dans le camp disciplinaire de Heddernheim, à côté de Francfort, entre deux passages à tabac, le matricule 3619 verra des copains pendus pour avoir volé une boule de pain, et il sera laissé pour mort après les caresses d’un SS.

Nouvelle évasion. Retour dans la Résistance, et neuf longues années avant de retrouver la famille. Commencent les petits boulots, maraîcher, rempailleur. Malgré les tracasseries administratives, les contrôles de flics à répétition, quinze enfants et petits-enfants plus tard, la tribu survit. Mais « nous ne sommes jamais parvenus à remonter la pente, et cette déchéance sociale n’a été que l’un des nombreux traumatismes de l’internement qui a laissé des traces sur plusieurs générations (…). Notre citoyenneté reste soumise à des conditions qu’aucun autre Français n’a à subir ».

En 2009, soixante-dix ans après les faits, l’Etat français a généreusement attribué à Raymond une « carte d’interné politique ». Mais la préfecture a refusé récemment qu’une stèle soit installée à l’entrée du camp de Linas-Montlhéry.

Transmis au préfet Guéant, actuel sinistre de l’Intérieur…

Brigitte Rossigneux

 

Source : Le Canard enchaîné n°4727 du 1er juin 2011, rubrique « Docs en stock », page 6.  

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* Enfants de deuxième catégorie

Samir, un jeune Kosovar de 8 ans, habite depuis l’été dernier dans l’ancienne maison de retraite de la gendarmerie à Saint-Gratien (95). Ce bâtiment est occupé par des familles originaires du Kosovo ou de la Tchétchénie qui ont obtenu le statut de réfugié politique et ont été logées là par le ministère de l’Intérieur. En tout, 70 personnes, dont 29 enfants.

Visiblement, l’arrivée de ces familles n’a pas été du goût de la maire, Jacqueline Eustache-Brinio, également conseillère régionale UMP. Dans un premier temps, elle a refusé de les accueillir. Grâce à l’opposition communiste et à la fédération des parents d’élèves, et à la demande de l’inspection d’académie, Samir et ses 28 camarades ont pu être répartis dans les différentes écoles de la ville.

Mme le Maire ne s’est pas tenue pour battue. Elle refuse à ces enfants l’accès à la cantine, à l’étude et au centre de loisirs. Du coup, les mères ne peuvent pas poursuivre leur stage d’intégration, car elles sont obligées de venir chercher leurs gamins à la pause déjeuner. Quant aux enfants dont les parents sont sans ressources, le repas à la cantine représentait leur seule chance de manger correctement.

La chef de com’ de la mairie reste droite dans ses bottes : « La position de la municipalité est de ne pas ouvrir les services périscolaires à ces populations de passage. » Sympa !

L’institutrice de Samir a écrit à la mairie qu’elle ne supportait pas de « voir un enfant si jeune dépérir de jour en jour sans agir ». Et de joindre à son envoi un chèque de 137,46 euros correspondant aux frais de cantine. Proposition rejetée par la mairie. Sans états d’âme. Pas même « de passage ».

Jean-Yves Viollier

 

Source : Le Canard enchaîné n°4728 du 8 juin 2011, page 4.