18/01/2012
TRIPLE A : C’EST PAS MOI, C’EST L’AUTRE !
Une hirondelle ne fait pas le printemps. Si Standard & Poor’s (S&P) a dégradé la France vendredi soir, une dépêche AFP annonce lundi matin que Moddy’s maintient, pour l’instant, la note triple A de notre pays.[1] Les bonnes nouvelles en provenance des agences de notation se faisant rare ces temps-ci, la droite bondit aussitôt sur l'occasion et une pluie de communiqués vengeurs s'abat alors sur le PS.[2] Le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, s'étonne ainsi du « silence assourdissant » des socialistes après le maintien par Moody's du triple A de la France alors qu'ils s'étaient « précipités », « François Hollande en tête », pour réagir à la dégradation décidée par S&P.[3] Pour le ministre de l’Economie, François Baroin, « l’opposition s’est vautrée » sur l’annonce de la perte du triple A, dénonçant lui-aussi « le silence assourdissant des représentants de l'opposition ».[4]À ses côtés, la ministre du Budget, Valérie Pécresse, assène que « Depuis cinq ans, nous n'avons eu de cesse de renforcer notre potentiel de croissance », ce qui ne se lit guère dans les statistiques de Bercy.[5] Pour sa part, le Premier ministre, François Fillon, dénonce le « tsunami médiatique » à gauche, « indécent » et « déplacé ».[6] Enfin, en voyage officiel en Espagne, le président de la République – en campagne mais pas encore candidat – dédramatise la perte du triple A [7] et brocarde son rival socialiste François Hollande :
Devant les responsables de la majorité réunis comme chaque semaine à l'Élysée, Nicolas Sarkozy s'est plaint du silence de l'opposition après la décision de l'agence Moody's, lundi, de conserver à la France son triple A. «Hollande s'est exprimé avec les yeux brillants de gourmandise (après la dégradation de la note par Standard & Poor's, vendredi, NDLR) mais quand Moody's, l'agence la plus importante du monde, a annoncé le contraire, le PS n'a rien dit, rien fait», a lancé le président.
«Quand la décision de Moody's est tombée, il a fallu une heure pour lire la première dépêche AFP, s'est-il indigné. Alors que deux agences sur trois conservent à la France son triple A, personne ne m'impute ce succès ! En revanche, quand une agence sur trois dégrade la France, c'est forcément mon échec !», a-t-il ironisé. Il a brocardé le candidat socialiste: «Vous croyez que les Français vont faire confiance à un homme qui semble se réjouir de la situation actuelle?, a-t-il taclé. Pendant la crise, les gens se tournent vers celui qui tient la barre.» [8]
D’ailleurs, le ministre de la Défense, Gérard Longuet, n’hésite pas à comparer François Hollande et le capitaine du Costa Concordia qui s’est échoué sur les côtes italiennes, estimant qu'il y avait « des capitaines qui frôlent trop les côtes et qui conduisent leurs bateaux sur les récifs », avant de s'efforcer d'atténuer ses propos.[9] Peut-être s’est-il soudainement rappelé qui est à la barre du paquebot France depuis 2007 ? Néanmoins, force est de constater que tous les caciques de l’UMP ont appris par cœur leurs éléments de langage et, comme d’habitude, Le Figaro n’est pas en reste ! Dans son éditorial, Pierre Rousselin insiste la nécessité de « Dédramatiser le verdict, d'ailleurs contradictoire, des agences de notation et donner en exemple à l'opposition en France le courage politique de son hôte Mariano Rajoy, tel était le message que Nicolas Sarkozy a voulu donner lors de sa visite à Madrid. » [10] Nier l’évidence, atténuer la réalité, biaiser, chicaner, accuser l’adversaire de toux les maux, lui imputer les erreurs passées et rejeter toutes responsabilités, tel semble être le credo politique du moment.[11] Las, contrairement à la propagande officielle l’information gouvernementale, Moody’s n’a pas confirmé le triple A de la France.[12] Les Echos apporte, en effet, le jour-même les précisions suivantes :
L'agence de notation [Moody’s] a publié ce matin une « Opinion de crédit » que certains ont pu confondre avec la confirmation du triple A accordé par elle à la France. En fait, elle est bien en train d'évaluer la perspective stable de la note française. Ses conclusions seront connues dans le courant du premier semestre. […]
Que va-t-il donc se passer ? Deux hypothèses sont les plus probables : Moody's décide de ne pas modifier son jugement sur la dette hexagonale ou bien elle place sa note sous surveillance négative. Au vu de des comportements passés de l'agence, il est peu vraisemblable que la France soit dégradée en sautant la case de la mise sous surveillance négative. Mais cette éventualité ne peut pas être complètement écartée. Beaucoup dépendra de l'évolution de la crise de la zone euro. Il faut garder en mémoire qu'à la différence de Standard & Poor's, Moody's évoque explicitement le risque croissant d'un éclatement de la zone euro et de défauts multiples de pays qui en sont membres. En supposant que le comité composé d'une quinzaine d'intervenants chargé de statuer sur la note opte pour la mise sous surveillance négative, Moody's pourrait se donner jusqu'à six mois pour clôturer la période d'observation et trancher par rapport à la note elle-même.
Autant dire que la deuxième agence de notation mondiale se donne tout le temps nécessaire pour mûrir ses décisions en la matière. [13]
Source : La Tribune, 19 octobre 2011.
Un constat que partage le magazine économique L’Expansion :
Alors que Standard & Poor’s a privé vendredi soir la France de son sacro-saint triple A, sa concurrente Moody’s n’a pas encore modifié son jugement. Un maintien de note qui ne vaut pas satisfecit. Moody's annonce en effet qu'elle se donne trois mois de plus pour examiner la perspective de la note, qui est actuellement à "stable". La troisième grande agence de notations, Fitch Rating, a indiqué de son côté qu’elle n’envisageait pas d’abaisser la note triple A de la France cette année, mais qu'elle la place sous perspective "négative".
Résumons: la dette souveraine française est notée AAA chez Fitch et Moody's, AA+ chez S&P, sous perspective stable chez Moody's et sous perspective négative chez S&P et Fitch, ce qui veut dire qu'elle pourrait être abaissée à "moyen terme" (dans les dix-huit mois). […]
Reste que pour les marchés, la France n'est plus triple A. L'écart de taux d'intérêt entre l'OAT française et le Bund allemand - les titres à dix ans - est aujourd'hui de 130 points de base, contre 30 points en moyenne de long terme ces dix dernières années. Concrètement: quand l'Allemagne emprunte aujourd'hui à 1,75%, la France, elle, doit payer 3,10%. Un niveau de taux d'intérêt comparable à celui de l'Autriche, autre pays AA+ de la zone euro, et légèrement inférieur à celui de la Belgique (taux à dix ans de 4%), pays noté AA.[14]
En résumé, si Moody’s n’a pas confirmé la note d’excellence de la France, du moins a-t-elle accordé « un peu de répit au AAA français ».[15] D'ici à fin mars, l’agence américaine indiquera si elle passe le AAA de la France sous perspective négative, une hypothèse vraisemblable en cas d’aggravation de la crise européenne et au vu des menaces de downgrade de la France déjà proférées par celle-ci au mois d’octobre dernier.[16]
La majorité soutient avec virulence le contraire [17] mais la perte du triple A est désormais actée dans les faits et dans les esprits. Il nous faudra vivre sans. Néanmoins, même si Nicolas Sarkozy joue sa peau sur le AAA [18], cet enjeu mérite mieux qu’une polémique stérile. Philippe Mabille adresse d’ailleurs, avec raison, cet avertissement aux deux principaux prétendants au trône :
Pour Hollande comme pour Sarkozy, cette situation - la perte du AAA et la force du Front national - crée une responsabilité inédite. Au lieu de s'invectiver, ils devraient prendre garde à cette France qui gronde, ne croit plus à l'Europe ni à la politique. Entre la crise économique, le chômage, les menaces sur la zone euro et la dette, ils ont largement de quoi relever leur niveau de jeu. Hollande parle d'un nécessaire "redressement national". Sarkozy met en avant le "courage" et se pose en "homme providentiel". On peut d'ores et déjà parier que l'un, ou l'autre, sera le prochain locataire de l'Elysée. "Le choix : Hollande ou Sarkozy", titre The Economist dans son édition "The World in 2012" Oui, mais pour quoi faire ? Ce que l'on pourrait espérer de mieux des deux candidats, c'est qu'ils fassent une seule promesse : s'engager à retrouver le AAA en dix ans, la durée qui a été nécessaire pour le Canada, dégradé en 1991. [19]
[1] « Moody’s confirme le triple A de la France » in Le Point, 16 janvier 2012.
[2] Judith Waintraub, « Triple A : l’UMP dénonce l’attitude des socialistes » in Le Figaro, 17 janvier 2012.
[3] « Copé : "silence assourdissant" du PS après la confirmation du AAA par Moddy’s » in Les Echos, 16 janvier 2012.
[4] « Baroin : "L’opposition s’est vautrée" sur l’annonce de la perte du triple A » in Libération avec AFP, 17 janvier 2012.
[5] Claire Guélaud, « François Baroin relativise la décision de Standard & Poor’s » in Contes publics, 17 janvier 2012.
http://bercy.blog.lemonde.fr/2012/01/17/francois-baroin-relativise-la-decision-de-standard-poors/
[6] « Triple A : Fillon dénonce le "tsunami médiatique" à gauche » in Libération avec AFP, 17 janvier 2012.
[7] Charles Jaigu, « Nicolas Sarkozy dédramatise la perte du triple A » in Le Figaro, 17 janvier 2012.
[8] Solenn de Royer, « Triple A : Sarkozy brocarde Hollande » in Le Figaro, 17 janvier 2012.
[9] Joël Saget, « Gérard Longuet compare François Hollande et le capitaine du Costa Concordia » in Le Point avec AFP, 16 janvier 2012.
[10] Pierre Rousselin, « Sarkozy : la leçon de Madrid » in Le Figaro, 16 janvier 2012.
http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2012/01/16/10001-20120116ARTFIG00647-la-lecon-de-madrid.php
http://blog.lefigaro.fr/geopolitique/2012/01/sarkozy-la-lecon-de-madrid.html
[11] Ivan Best, « Perte du AAA : qui sont les coupables ? » in La Tribune, 15 janvier 2012.
[12] Dominique Albertini, « Moody’ n’a pas confirmé le triple A de la France » in Libération, 16 janvier 2012.
http://www.liberation.fr/economie/01012383657-moody-s-confirme-le-triple-a-de-la-france
[13] Massimo Prandi, « Moody’ : rien de nouveau pour la note française » in Les Echos, 16 janvier 2012.
[14] Emilie Lévêque, « La France a-t-elle vraiment perdu son triple A ? » in L’Expansion, 16 janvier 2012.
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/la-france-a-t-elle-vraiment-perdu-son-triple-a_278756.html
[15] Marie Visot, « Moody’s, elle, donne un peu de répit au AAA français » in Le Figaro, 16 janvier 2012.
[16] Hayat Gazzane, « Moody’s jette une ombre sur la note AAA de la France » in Le Figaro, 18 octobre 2011.
« Moody’s menace le triple A de la France » in L’Expansion avec AFP, 18 octobre 2011.
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/moody-s-menace-le-triple-a-de-la-france_266197.html
Emilie Lévêque, « Pourquoi la France ne doit pas perdre son triple A » in L’Expansion, 18 octobre 2011.
[17] Samuel Laurent et Eric Nunès, « Agences de notation : la lecture flatteuse de l’UMP » in Le Monde, 17 janvier 2012.
[18] « Pour Minc, Sarkozy joue sa peau sur le AAA » in L’Expansion avec AFP, 28 octobre 2011.
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/pour-minc-sarkozy-joue-sa-peau-sur-le-aaa_267880.html
[19] Philippe Mabille, « La France qui tombe… » in La Tribune, 6 janvier 2012.
http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20120106trib000676120/la-france-qui-tombe.html
16:18 Publié dans Economie, Perso, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : triple a, aaa, france, s&p, standard & poor’s, moody’s, ump, ps, nicolas sarkozy, élections présidentielles, 2012, françois hollande, dégradation, downgrade, note, propagande
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