09/06/2011

LA MILITARISATION DU MAINTIEN DE L'ORDRE, RÉALITÉ OU FANTASME ?

La militarisation du maintien de l’ordre, réalité ou fantasme ? En vérité, on glisse d’ores et déjà doucement mais sûrement vers le fait accompli ! Au mois de juillet 2010, le journaliste Jean-Dominique Merchet rapportait ainsi sur son blog Secret Défense que « Deux équipes (chien et maître-chien) du 132ème Bataillon cynophile de l'armée de terre ont été mobilisées en appui des policiers pour la recherche d'armement à la suite des graves incidents de Grenoble. » (1) Or, ce n'est pas une première. Des équipes spécialisées des trois armées interviennent, en effet, régulièrement au profit des forces de police ou de gendarmerie car elles disposent de moyens spécialisés très pointus. C'est notamment le cas pour tout ce qui concerne la surveillance et le renseignement, voire le transport (hélicoptères, bateaux, etc.).

 

Cela dit, Jean-Dominique Merchet avait aussi écrit en mars 2008 un intéressant article intitulé « Contrôler la foule, un job de fantassin » (2). Ce billet explique en quoi les mouvements de foule sont devenus un véritable casse-tête pour les militaires sur la plupart des théâtres d’opération où sont engagées des troupes françaises. Résultat : l’armée de terre engage systématiquement une compagnie formée à ce travail spécifique de l’infanterie. On l’appelait la compagnie de réserve opérationnelle ; elle a été rebaptisée Compagnie d’infanterie à capacité de contrôle de foule. Or, qu’est-ce qui interdirait à un politicien d’utiliser cette force sur le territoire national ?

 

L’hypothèse d’un soulèvement populaire est d’ailleurs prise au sérieux par les instances militaires comme en témoigne l’étude du chef d’escadron Talarico au collège interarmées (3), qui tire conséquence des émeutes de 2005, dont voici un extrait :

 

« En France, les hélicoptères du ministère de l’Intérieur sont ceux de la sécurité civile, qui sont avant tout conçus pour le sauvetage et ne possèdent pas de caméra thermique. L’aide des armées pourrait se manifester dans ce domaine ainsi que par exemple dans les moyens de brouillage. D’autres aéronefs emporteraient des tireurs d’élite près à neutraliser les insurgés armés. Enfin, des hélicoptères de transport pourraient être prêts à héliporter sur les toits d’immeubles des groupes d’assaut afin de s’emparer d’une plate-forme ou d’investir un immeuble par le haut et le bas simultanément. Des drones capables de maintenir le stationnaire et équipés de caméras visible et infrarouge pourraient également compléter le dispositif et servir de moyens de renseignement et d’alerte. […]

Il s’agit, maintenant, pour le gouvernement, de profiter de cette prise de conscience des média pour établir avec eux une charte de bonne conduite en cas d’événements graves. […] Il faut entretenir le débat sur le rôle des média afin de les amener à prendre toutes leurs responsabilités si de nouveaux drames devaient survenir. »

 

Brouillage, hélicoptère, vision nocturne, censure… Force est de reconnaître une militarisation des matériels comme en témoignaient déjà deux articles du quotidien France Soir en mai 2010 (4) : « A l’instar des forces spéciales en Afghanistan, la police dispose depuis trois ans de drones. » Elle a aussi recours à des dirigeables pour la vidéosurveillance aérienne avec cette remarque révélatrice : « C’est d’ailleurs l’utilisation qui en est faite par l’armée israélienne au-dessus de Gaza. »

 

Terminons sur le livre du chercheur Hacène Belmessous : « Opération banlieue. Comment l'État prépare la guerre urbaine dans les cités françaises »(Éd. La Découverte, 2010) ; on peut découvrir la présentation ainsi que quelques extraits sur le site de l’éditeur (5). Il assène qu’avec l’adoption en 2008 du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (6), l’idée d’un engagement des forces terrestres en banlieue n’est désormais plus un tabou. Si certains dénoncent avec force « la faillite sécuritaire du sarkozysme » (7), il faut, dorénavant, encore plus redouter sa fuite en avant, qui pourrait opportunément faire écho aux appels désespérés d’élus désemparés à l’image du maire de Sevran, Stéphane Gatignon (8).

 

 

(1) Jean-Dominique Merchet, « Des chiens de l'armée de terre découvrent des armes à Grenoble » in Secret Défense, 28 juillet 2010.

http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2010/07/des-chiens-militaires-d%C3%A9couvrent-des-armes-%C3%A0-grenoble.html

 

(2) Jean-Dominique Merchet, « Contrôler la foule, un job de fantassin » in Secret Défense, 30 mars 2008.

http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2008/03/contrler-la-fou.html

 

(3) CES Talarico, Guérilla et violences urbaines, École de Guerre (Collège interarmées à l’époque).

CES Talarico Guérilla et violences urbaines.pdf

 

(4) Alain Hamon, « Banlieues. Des hélicos pour traquer les bandes » in France Soir, 14 mai 2010.

http://www.francesoir.fr/faits-divers-police/banlieues-des-helicos-pour-traquer-les-bandes

 

Brendan Kemmet, « Drones, dirigeables et camions 4x4 dans les banlieues » in France Soir, 14 mai 2010.

http://www.francesoir.fr/drones-dirigeables-et-camions-4-x-4-dans-les-banlieues

 

(5) Hacène Belmessous, Opération banlieue. Comment l'État prépare la guerre urbaine dans les cités françaises, ÉditionsLa Découverte, 2010.

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Operation_banlieue-9782707159120.html

 

(6) Jean-Claude Mallet, Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, Éd. Odile Jacob et La Documentation française, 2008.

http://www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/information/les_dossiers_actualites_19/livre_blanc_sur_defense_875/index.html

 

(7) « la faillite sécuritaire du sarkozysme » in Les échos de la gauchosphère, 3 juin 2011.

http://gauchedecombat.wordpress.com/2011/06/03/la-faillite-securitaire-du-sarkozysme/

 

(8) Augustin Scalbert, « Sevran : des casques bleus pour enrayer la guerre des gangs ? » in Rue89, 2 juin 2011.

http://www.rue89.com/2011/06/02/a-sevran-des-casques-bleu...

 

Stéphane Gatignon n’est pas le premier édile à en appeler à l’armée. En novembre 2005, une dépêche de l’AFP fit écho aux propos du maire socialiste de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), Michel Pajon. Ce dernier suggérait alors l'intervention de l'armée dans les quartiers touchés par les violences urbaines, en affirmant à l’époque que la situation était « dramatique ». De son côté, le député-maire UMP de Maisons-Laffitte, Jacques Myard, réclamait l'instauration de l'état d'urgence avec « un strict couvre feu ». Considérant que « les médias devaient d'eux-mêmes lever le pied de la libre et totale information », cet élu avait demandé au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) « de conclure un moratoire sur la diffusion de ces événements avec tous les médias afin de ne pas les stimuler et les amplifier ».

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