22/05/2013

POLICE TERRITORIALE : QUID DE L’ÉVALUATION ?

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http://www.police-territoriale.fr/

 

René Vandierendonck, sénateur socialiste du Nord, a récemment déposé - conjointement avec François Pillet, parlementaire UMP du Cher - une proposition de loi relative aux polices territoriales. [1] Le député-maire de Nice, Christian Estrosi, président de la Commission consultative des polices municipales, prépare lui aussi une proposition de loi sur la police territoriale, qui devrait naître de la fusion des cadres d’emplois des agents de police municipale et des gardes champêtres. [2]

 

D’ores et déjà, force est de constater que le texte sénatorial présente d’inquiétantes faiblesses. L’article 2 a pour unique vocation de maintenir la brigade verte en Alsace en transformant l’article L2213-7 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) pour l’insérer dans le Code de la sécurité intérieure. Or, hormis l’Alsace, combien de régions, de départements ou de parcs naturels régionaux ont recruté des gardes champêtres ? Aucun ! Par conséquent, pourquoi généraliser l’exception ? L’article 13 de cette proposition de loi suscite les mêmes inquiétudes puisqu’il réduit l’article L2212-2 du CGCT à sa phrase d’introduction agrémentée de la moralité, ouvrant ainsi la boîte de Pandore puisque c’est la voie à toutes les interprétations possibles, donc in fine à l’arbitraire. L’article 4 réservera demain des surprises aux élus locaux qui emploient aujourd’hui des policiers municipaux. En effet, l’article 24 du Code de procédure pénale spécifie que « les gardes champêtres peuvent se faire donner main-forte par le maire, l'adjoint ou le commandant de brigade de gendarmerie qui ne pourront s'y refuser. » Cette proposition de loi sénatoriale recèle d’autres faiblesses que nous détaillerons ultérieurement.

 

Le prochain texte de l’élu azuréen reprend nombre des revendications actuelles des syndicats de police municipale les plus offensifs. Il vise d’abord à étendre les missions des polices municipales à l'ensemble du domaine contraventionnel. Nous nous permettons ici de faire référence à la réponse ministérielle apportée à la question n°85777 formulée par Pierre Morel-A-L'Huissier, député UMP de Lozère, en date du 3 août 2010 :

 

Les agents de police municipale, qui sont en 2010 au nombre de 18 000 environ, bénéficient de compétences significatives tant en police administrative qu'en police judiciaire. Ces compétences leur confèrent une place à part entière dans la chaîne locale de sécurité. L'article L. 2212-5 du code général des collectivités territoriales constitue la base légale des compétences des policiers municipaux. Il donne aux intéressés une compétence d'attribution complémentaire de la compétence générale de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Les policiers municipaux exécutent, par délégation du maire et sous son autorité, les tâches lui incombant en matière de prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité de la sécurité et de la salubrité publique. Les policiers municipaux sont chargés d'exécuter les arrêtés de police du maire et de constater par procès-verbal les contraventions à ces arrêtés. Pour exercer leurs compétences de nature judiciaire, les agents de police municipale sont placés sous l'autorité d'un officier de police judiciaire et du procureur de la République. Ils ont la qualité d'agent de police judiciaire adjoint (art. 21, 2, du code de procédure pénale). En cas de flagrance, le policier municipal a qualité pour conduire tout auteur présumé d'un délit ou d'un crime devant l'officier de police judiciaire le plus proche. L'exercice des compétences de police administrative, d'une part, et de police judiciaire, d'autre part, motivent l'octroi d'un agrément préalable du préfet et du procureur de la République. Les agents de police municipale peuvent verbaliser les contraventions les plus fréquemment commises sur les voies autres que les autoroutes, par principe à l'intérieur du territoire communal. Une quinzaine d'infractions dans le domaine du code de la route échappent cependant au pouvoir de verbalisation des policiers municipaux, soit parce qu'elles requièrent une technicité particulière, soit parce qu'elles supposent la mise en œuvre de pouvoirs d'investigation et d'enquête dont ils ne disposent pas. Les agents de police municipale sont habilités à régler la circulation sur la voie publique par l'article R.130-10 du code de la route, au même titre que les gardes-champêtres ou que les agents de surveillance de Paris. L'exercice des compétences de police administrative conduit de plus en plus les policiers municipaux à être impliqués dans la gestion des centres de supervision urbaine mettant en œuvre les systèmes de vidéoprotection. Pour l'exercice de leurs missions, les agents de police municipale peuvent avoir accès à des informations contenues dans les traitements de données à caractère personnel. La circulaire ministérielle (NOR : IOCD1005604C) du 25 février 2010 en a rappelé les règles. Deux limites générales sont assignées par les textes au domaine de compétences des policiers municipaux : en matière de police administrative, la convention type de coordination entre la police municipale et les forces de sécurité de l'État interdit au service de police de municipale l'exercice du maintien de l'ordre (art. R.2212-1 du CGCT) ; en matière de police judiciaire, les actes d'enquête leur sont interdits, ainsi que les contraventions relatives à l'atteinte à l'intégrité des personnes. Par l'effet des dispositions du code de procédure pénale, les policiers municipaux doivent se limiter aux recueils et relevés d'identité. Le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure contient des dispositions visant à renforcer le rôle des policiers municipaux dans le respect des compétences propres de la police nationale et de la gendarmerie nationale, et en partenariat avec celles-ci. [3]

 

Christian Estrosi veut que la qualité d'agents de police judiciaire (APJ20) soit étendue aux directeurs de police municipale et chefs de service. Une disposition de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite « Loppsi 2 »… censurée par le Conseil constitutionnel. Les attendus de la décision de ce dernier sont d’ailleurs importants à parcourir :

 

En ce qui concerne l'article 91 :

 

77. Considérant que l'article 91 de la loi déférée complète l'article 20 du code de procédure pénale ; qu'il accorde la qualité d'agent de police judiciaire aux « membres du cadre d'emplois des directeurs de police municipale assurant la direction fonctionnelle et opérationnelle des services de la police municipale lorsque la convention prévue à l'article L. 2212-6 du code général des collectivités territoriales en dispose ainsi » ; qu'il leur donne compétence pour seconder « dans l'exercice de leurs fonctions » les officiers de police judiciaire mentionnés à l'article 16 du même code, à l'exception des maires et de leurs adjoints ;

 

78. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux considérants 59 et 60, l'article 91 de la loi déférée, qui confère la qualité d'agent de police judiciaire aux membres du cadre d'emplois des directeurs de police municipale sans les mettre à la disposition des officiers de police judiciaire, méconnaît l'article 66 de la Constitution ; qu'il doit, par suite, être déclaré contraire à la Constitution ; [4]

 

Le député-maire de Nice souhaite également faire évoluer les appellations de grades des agents de police municipale qu’il considère aujourd'hui illisibles pour mieux défendre la militarisation de ceux-ci (lieutenant, capitaine…).

 

Il désire aussi des organes de contrôle dédiés à la police municipale. Une revendication d’autant plus étrange que les services de l’Etat assurent déjà cette mission. Dès lors, pourquoi cette inutile redondance sauf à considérer que l’IGS, l’IGPN ou l’IGGN ne sont plus en mesure d’assurer leurs missions ?!

 

Dernière exigence du parlementaire méditerranéen : faire figurer l'action des policiers municipaux dans les statistiques de l'Etat 4001. Comme l’ont récemment souligné Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin, respectivement députés socialiste du Val-de-Marne et UMP de Charente-Maritime, dans leur rapport d’information n°988 relatif à la mesure statistique des délinquances, « l’état 4001 a vocation à mesurer l’activité des services de police et de gendarmerie, non les délinquances », d’autant que « l’état 4001 ne recense que les infractions relevées par les services de police et de gendarmerie, et non pas les infractions réprimées par le droit pénal dans son ensemble ». [5] Toutefois, il n’existe aujourd’hui aucun moyen de mesurer l’efficacité d’un service de police municipale, d’où l’impossibilité d’établir une corrélation entre la création d’un tel service et une éventuelle baisse de la délinquance locale. Or, comment avancer une proposition de loi sur les polices municipales (territoriales demain) sans pouvoir mesurer l’action desdits services municipaux ? Comment même élaborer une convention de coordination dans ces conditions ?! Dans cette perspective, il faut rappeler qu’un agent de police municipale a la qualification d'agent de police judiciaire adjoint (article 21 du Code de procédure pénale). En cas de flagrance ou simplement d’ivresse publique et manifeste (article L3341-1 du Code de la santé publique), le policier municipal a qualité pour conduire tout auteur présumé d'un délit ou d'un crime devant l'officier de police judiciaire (OPJ) le plus proche – comme tout citoyen en vertu de l’article 73 dudit Code. C’est d’ailleurs sur cette base que certaines municipalités ont orienté leurs polices municipales vers l’intervention et la répression quand d’autres revendiquent une police municipale de proximité. Cela dit, l’agent concerné met alors l’individu interpellé à disposition de l’OPJ et se doit de rédiger un rapport dit de « mise à disposition » dans lequel il rapporte les faits qu’il a vus, entendus et constatés personnellement (article 429 du Code de procédure pénale) et qu’il transmet simultanément au maire et à l’OPJ. Ces rapports de mise à disposition ne permettent-ils pas aujourd’hui d’évaluer – quantitativement et non qualitativement – l’activité judiciaire des services de police municipale ? Peut-on réellement ignorer la suite donnée à ceux-ci par les OPJ (libération, dégrisement, garde à vue, procédure judiciaire…) ? Ceci permettrait de démontrer l’inanité du discours propagandiste des thuriféraires des polices municipales. [6] En effet, là où la police municipale ne cherche pas à se substituer à la police nationale, elle ne fait quasiment aucun judiciaire et reste dans son rôle de police administrative de proximité. Cet impératif de vérité est d’autant plus nécessaire que, pour l'instant, on n'a aucune idée des résultats des polices municipales et il faudrait peut-être commencer par là avant toute réforme de cette profession.



[1] Proposition de loi n°553 visant à créer des polices territoriales et portant dispositions diverses relatives à leur organisation et leur fonctionnement, 26 avril 2013.

http://www.senat.fr/leg/ppl12-553.pdf

 

[2] Michel Tendil, « Christian Estrosi prépare une proposition de loi sur la police municipale » in Localtis.info, mercredi 15 mai 2013.

http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=1250265207161&cid=1250265207017

 

[3] Question n°85777 de Pierre Morel-A-L'Huissier, député UMP de Lozère, 3 août 2010

 

http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-85777QE.htm

 

[5] Rapport d’information n°988 relatif à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences, 24 avril 2013.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i0988.pdf

 

[6] Laurent Opsomer, « Polices municipales : mythes et réalités » in Double Neuf, 2 juin 2011.

http://doubleneuf.nordblogs.com/archive/2011/06/02/polices-municipales-mythes-et-realites.html

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