26/02/2013
POLICE EN DEUIL : REMEMBER
Mardi 26 février 2013 : cérémonie en hommage aux deux policiers morts la semaine dernière
sur le périphérique parisien dans la cour d'honneur de la préfecture de police de Paris.
Un ancien officier de police, Marc Louboutin, a pris sa plume suite au drame qui a frappé la BAC N75. [1] Sous la forme d’une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, il fait à sa façon écho au malaise des policiers bouleversés et révoltés par cette tragédie :
Que dire de plus devant une si triste nouvelle ? Que des pères de famille perdent la vie dans des circonstances horribles par la faute d’une délinquance aveugle et criminelle ? Qu’ils ne riront plus avec leurs collègues à des blagues éculées en buvant le café à leur prise de service ? Qu’il n’y aura plus jamais de leur part de baisers, de caresses, pour leurs compagnes et leurs enfants ? Que leurs familles et leurs proches souffrent le martyre de la perte en service commandé de maris, de pères, d’amis ? Qu’il n’y a pas d’excuse opposable à la mort de policiers sur ce champ d’honneur qu’est devenue la voie publique, dans l’indifférence générale ? Que les discours officiels, que chacun de nous pourrait écrire au mot près tant nous les avons entendus, si convenus et empreints de solidarité superficielle, enrobant des décorations et des promotions posthumes qui ne rendront jamais ces disparus, sont si vite oubliés qu’ils en deviendraient presque inutiles ? [2]
Si vite oubliés qu’ils en deviendraient presque inutiles… Cette phrase résonne de manière lugubre, son écho fait froid dans le dos et suscite une sourde angoisse mortifère. Mais qui se souvient d’un drame similaire survenu dix ans plus tôt ? Qui se souvient aujourd’hui de la tragédie de Clichy ?
La tragédie de Clichy
Lundi 17 mars 2003 : les télescripteurs crépitent dans les salles de rédaction. Dans la nuit, une dépêche annonce le terrible bilan d’une folle course-poursuite entre policiers et voleurs à la portière sur le quai de Clichy dans les Hauts-de-Seine, une opération au cours de laquelle trois fonctionnaires de la brigade anti-criminalité de Levallois-Perret périssent carbonisés dans leur voiture, un quatrième, grièvement blessé et brûlé, étant entre la vie et la mort. La nouvelle se propage rapidement dans les commissariats de France et de Navarre où elle suscite partout la même émotion comme le démontre cet article de La Dépêche du Midi, qui révèle que « La mort de trois fonctionnaires de la brigade anti-criminalité (BAC) de Levallois-Perret a été durement ressenti jusqu'à la BAC de Toulouse. » [3] De son côté, Le Parisien dresse le portrait des victimes :
Le brigadier Hubert Paris, 32 ans. Entré dans la police alors qu'il avait à peine 20 ans, Hubert Paris était marié et père de deux enfants. Originaire de Bar-sur-Aube en Champagne-Ardenne, il avait été affecté à son arrivée dans les Hauts-de-Seine à la brigade de jour du commissariat de Courbevoie. Après s'être aguerri en tant que gardien de la paix, Hubert avait obtenu ses galons de brigadier en septembre 2002. Dans le même laps de temps, il prenait ses nouvelles fonctions au sein de la BAC de Levallois. « Il s'était retrouvé à la tête d'une nouvelle équipe avec laquelle il s'entendait très bien, confie un policier. Il partait toujours en mission avec Cyril, Florent et Stéphane. Ils étaient tous les quatre très soudés. »
Le gardien de la paix Florent Niel, 30 ans. Marié et père de deux enfants en bas âge dont un bébé de trois mois, le gardien de la paix Florent Niel était entré dans l'administration en 1996. Originaire de Redon, en Ille-et-Vilaine, le jeune homme avait fait ses premiers pas dans la police au commissariat de Levallois qu'il avait intégré dès l'obtention de son diplôme, il y a près de sept ans. Désireux de retourner vivre dans l'ouest de la France avec sa famille, Florent Niel avait récemment demandé sa mutation pour le commissariat de Nantes, en Loire-Atlantique.
Le gardien de la paix Cyril Farré, 26 ans. Ancien élève de l'école nationale de police de Nîmes, Cyril Farré était le plus jeune des trois policiers décédés. Issu de la promotion 166, ce Toulousain d'origine avait demandé à sa sortie de l'école, en décembre 2000, son affectation dans la boucle nord des Hauts-de-Seine. « Il aimait l'action et avait souhaité tout de suite travailler dans un secteur considéré comme difficile », explique un camarade. Domicilié à Asnières, ce célibataire est décrit comme un garçon qui « aimait amuser la galerie ». « Il avait une grande gueule mais dans le bon sens du terme. Il n'arrêtait pas de déconner. Il avait toujours le sourire », ajoute un gardien de la paix. En BAC à Levallois depuis septembre dernier, Cyril était également passionné de moto. [4]
Le gardien de la paix Stéphane Montoya, 30 ans, est le seul survivant. Grièvement blessé et brûlé par un retour de flamme, le jeune homme souffre de très graves blessures. Hospitalisé à Cochin, il a été plongé hier en coma artificiel, mais ses jours ne semblaient plus en danger. Originaire de l'Hérault, Stéphane Montoya est entré dans la police en 2000. Jointe hier à Marseillan, sa mère, très choquée, a simplement déclaré, en larmes : « mon fils est en train de lutter... » [5]
Dans les heures qui suivent, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, apparaît sur place en compagnie des plus hauts responsables de la police nationale. « Ils avaient 32, 30 et 26 ans, deux étaient mariés avec des enfants. Ils laissent trois familles brisées, des enfants orphelins et des femmes veuves », commente-t-il gravement. « Cela montre la difficulté du métier de policier, le danger qu'affrontent chaque jour ces gens pour assurer notre sécurité, ajoute le ministre avant de se rendre au commissariat de Levallois pour y rencontrer les collègues des fonctionnaires tués. « C’est un bilan bien dramatique pour poursuivre des délinquants », conclue-t-il. Le chef de l’Etat, Jacques Chirac, exprime, lui, « sa profonde solidarité et sa grande émotion ».
Le 24 septembre 2003, Nicolas Sarkozy évoque à nouveau ce drame face aux policiers et gendarmes réunis à Paris :
En mars dernier, trois de vos collègues sont morts à Clichy dans des conditions atroces car des individus refusant de se soumettre à un contrôle se sont lancés dans une course poursuite. C'est simplement inadmissible.
Le refus d'obtempérer est juridiquement considéré comme une infraction mineure, passible de trois mois d'emprisonnement. J'ai demandé au Garde des Sceaux qui en est d'accord d'instaurer dans notre droit un délit de refus d'obtempérer aggravé qui pourrait être puni jusqu'à 5 ans d'emprisonnement chaque fois que les auteurs de cette infraction mettront votre vie en danger. [6]
Le Code de la route est modifié l’année suivante avec la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 et le refus d’obtempérer aggravé par la mise en danger d’autrui (article L233-1-1). [7] Un fait divers, une loi…
Dans les rangs de la police, l’émotion est intense : « C'est une horreur, déclare un représentant du syndicat Alliance, la voix nouée. La voiture est si abîmée que l'on n'en distingue plus que la moitié. Elle s'est enroulée autour d'un arbre et a été calcinée, ce n'est plus qu'un tas de ferraille.» [8] Le lendemain du terrible accident, des policiers défilent au commissariat de Levallois en signe de soutien et de solidarité, mais aussi pour dire leur incompréhension et… leur colère :
« Je pense qu'il n'y a pas pire que de poursuivre une moto. Les délinquants prennent des risques insensés. Nous avons des consignes de ne pas poursuivre ces enragés », assure un fonctionnaire de Levallois.
Pourtant lundi soir, les policiers de la BAC de Levallois se sont lancés à la poursuite d'un scooter. « C'est le rôle de la BAC d'arrêter les voleurs. Il y a depuis six mois une recrudescence des vols à la portière à Neuilly. Les consignes sont fermes et nous avons une grande pression dans la ville du ministre de l'Intérieur (également adjoint au maire de Neuilly, ndlr) », poursuit le même policier.
Dans les murs du commissariat, la colère est aussi au rendez-vous. Les fonctionnaires déplorent le manque de formation à la conduite dangereuse et fustigent l'état de la voiture. « La 306 avait déjà 80.000 km au compteur. Elle n'avait ni airbags ni freins ABS. A quatre dedans, c'était vraiment risqué », note François Lepée du syndicat des gardiens de la paix Alliance. [9]
Au commissariat de Boulogne-Billancourt, la patronne du moment, Anne-Marie Spitz, l’une des rares femmes commissaires divisionnaires en France, fond en larmes lors de la minute de silence en hommage aux victimes. Cette femme énergique de 47 ans à l’époque, présente la nuit du drame, ne peut terminer son discours devant ses troupes. Preuve, s’il en fallait une, que l’expérience ne laisse pas insensible face à l’horreur et la souffrance. Sous l’uniforme bat un cœur, se cachent des émotions.
Un service mortuaire est mis en place pour veiller jour et nuit les corps dans les salons de l’hôtel de ville de Levallois-Perret, chapelle ardente improvisée. Qui peut mesurer le redoutable honneur pour les gradés et gardiens de la paix de rester auprès des cercueils de feu leurs collègues surmontés de leurs photos qui les observent, regards d’outre-tombe qui glacent le sang ?
Le vendredi 21 mars 2003, en début d’après-midi, un hommage solennel de la Nation est rendu aux trois policiers décédés dans la cour de la préfecture de Nanterre, en présence des familles. Nicolas Sarkozy déclare à cette occasion que la mort des trois fonctionnaires de la BAC de Levallois-Perret est le « deuil de chaque Français » avant de s’incliner devant les trois cercueils recouverts du drapeau tricolore. Les défunts sont élevés au rang d’officiers, la Légion d’honneur, la médaille d'or pour acte de courage et de dévouement et la médaille d'honneur de la police leur sont décernées à titre posthume.
Que s’est-il exactement passé ce 17 mars 2003 ?
La funeste course-poursuite commence vers 21 heures après un vol à la portière à Neuilly-sur-Seine. « Depuis quelque temps, le secteur était dans le collimateur de la police, à cause de la multiplication de ce genre de vols. Un dispositif spécial avait même été mis en place, y compris avec des motos, pour tenter de mettre la main sur ces malfaiteurs spécialisés. » [10] Deux voleurs, surpris en flagrant délit, prennent la fuite sur un scooter et une moto. Les fuyards n'ont visiblement aucune intention de s'arrêter. Un appel est alors lancé sur les ondes de police. A bord d’une Peugeot 306 banalisée (un véhicule largement répandu au sein de ces unités à cette époque), l’équipage de la BAC de Levallois-Perret est engagé à vive allure sur le quai de Clichy. Il assiste ses collègues de Neuilly-sur-Seine, lesquels sont à la poursuite des deux voleurs à la portière qui viennent de contrecarrer un important dispositif d'interpellation et filent à vive allure en direction du nord, vers la Seine-Saint-Denis. Les versions divergent ensuite.
Selon la version officielle, alors que les véhicules de police foncent en trombe le long du quai de Clichy à la poursuite des deux voleurs, en direction de Saint-Ouen, un cyclomoteur de livraison de pizzas, chevauchés par deux adolescents, débouche brusquement de la berge, à contresens et sans respecter la priorité. Le conducteur de la 306 déboîte pour éviter de percuter la mobylette, perd le contrôle de la voiture, qui fait une embardée et s'encastre dans un platane en bordure de Seine. La voiture s'embrase aussitôt tandis que le cyclomoteur, qui se révèlera volé, s’éclipse dans la confusion ambiante avant d’être abandonné.
Le Parisien publie d’ailleurs le bouleversant témoignage d’un collègue de la brigade anti-criminalité de Neuilly-sur-Seine, policier dont le prénom est modifié pour préserver son anonymat :
« Tout s’est passé tellement vite. On n'a pas eu le temps de comprendre... » Quelques heures après le terrible accident de la circulation qui a coûté la vie à trois fonctionnaires affectés à la BAC de Levallois, Marc, policier à Neuilly, est encore sous le choc. « J'étais dans une voiture juste derrière celle des collègues de la BAC, confie-t-il. Avec la montée d'adrénaline, je ne voyais pas ce qui se passait autour de nous. J'étais concentré sur la voiture de la BAC mais j'ai aperçu le scooter poursuivi. Puis, soudain, j'ai vu surgir sur la droite de la chaussée un motocycliste. La Peugeot 306 des collègues est instantanément partie en embardée et est venue percuter un arbre. Le feu a pris en quelques secondes... » Marc se dirige alors aussitôt vers son collègue Stéphane Montoya qui tente de s'extirper du véhicule déjà en feu. « Nous sommes parvenus à le sortir alors que les flammes commençaient à sortir de l'habitacle. Nous avons vidé une dizaine d'extincteurs mais c'est devenu très vite un véritable brasier. On ne pouvait plus approcher à moins de 2,50 mètres. » Sous ses yeux, Marc voit Hubert Paris, Florent Niel et Cyril Farré périr dans l'incendie de leur voiture. « Je ne tiens pas à décrire ce que j'ai ensuite vu, confie d'une voix accablée le policier. Je suis bouleversé... » [11]
Une autre hypothèse nuance cependant la thèse officielle :
Les quatre policiers de Levallois ne disposent pas de tous les éléments d'informations sur les auteurs du vol. Lorsqu'un cyclomoteur, montés par deux individus, surgit brusquement au beau milieu de la chaussée en venant en sens interdit, les policiers pensent qu'il s'agit là d'une partie de la bande incriminée. Ils décident de poursuivre le cyclomoteur. Le chauffeur de la 306 entame une manœuvre de demi-tour, et fait usage du frein à main. Mais la manœuvre ne se passe pas comme prévue. Quatre à bord d'un véhicule de remplacement, le comportement de la voiture est incertain. Le véhicule part en glissade inexorablement. Il finit sa course dans un arbre. Le choc est abominable et le véhicule d'intervention commence à s'embraser ! [12]
Trois des quatre fonctionnaires meurent carbonisés. Le quatrième, Stéphane Montoya, est hospitalisé en urgence dans un état si grave qu’il est plongé dans un coma artificiel. Une dépêche de l’AFP en date du 18 mars 2003 apporte ce macabre détail : « Leurs corps, carbonisés, étaient toujours dans le véhicule entièrement calciné, plus de trois heures après les faits. »
Ce drame et son procès ont été minutieusement décrits dans un livre de Gilles Alexandre, beau-père du brigadier Hubert Paris, dont il publie une synthèse sur son blog en 2011. [13]
Nous sommes le 17 mars 2003, boulevard du commandant Charcot à Neuilly sur Seine [92], plus précisément au carrefour de la porte de Neuilly. Il est 21 heures 25, et une surveillance policière de taille est mise en place en vue d’intervenir en flagrant délit sur des vols à la portière, en recrudescence dans ce secteur en particulier. La plupart de ces vols sont accompagnés de violences et principalement à l’encontre de femmes seules au volant de leur voiture. Le directeur départementale de la sécurité publique des Hauts de Seine a donc décidé de taper fort, et mettre fin à ces agissements en mettant en place un dispositif suffisamment conséquent, basé sur la surveillance et l’intervention. Un sous marin en jargon policier, véhicule banalisé aux vitres sans teint, est stationné aux abords immédiats du carrefour de la porte de Neuilly, à l’intérieur des policiers de la brigade anti criminalité de Neuilly. Un véhicule banalisé de police de l’unité de la sécurité publique de Neuilly, avec à bord deux policiers est positionné dans l’avenue de Madrid. Un autre véhicule, un break Renault, sérigraphié, avec à bord deux policiers de la brigade canine de Gennevilliers, elle stationne plus à l’ouest, très exactement au carrefour formé avec le boulevard du général Koenig et la rue casimir Pinel. [14]
Cela ressemble un peu à la chasse à l'agachon [15] : dissimulé, il faut attendre le gibier (de potence), en l’appâtant si possible. Gilles Alexandre révèle que le happeau est ici un véhicule banalisé (en l’occurrence une Audi) dont « la conductrice est un policier féminin, un leurre, quoi. Pratique courante dans la police. » Le poisson mord à l’hameçon : deux jeunes surgissent, l’un en scooter, l’autre en moto, et s’attaquent à la cible... qui résiste. Ils s’emparent malgré tout de son sac lorsque le piège semble se refermer sur eux. Les différentes unités en planque interviennent. Las, la bonne fortune n’est pas du côté des policiers ce soir-là : « Les événements prennent une très mauvaise tournure, c’est un véritable fiasco, la souricière tendue n’a visiblement pas fonctionnée, et il faut absolument rattraper le coup. »
Arrivés à la hauteur du pont de Levallois, les individus sur la moto et le scooter décident subitement d’une stratégie de séparation, du moins semble-t-il. La confusion est palpable, et la brigade canine en profite pour revenir sur les fuyards en serrant sérieusement le scooter. Par cette manœuvre le pilote est obligé de bifurquer et partir vers le périphérique, en direction de Saint-Denis, pour échapper à l’arrestation. Quant au pilote de la moto lui, il entame une course folle sur les quais de Seine avec à ses trousses, toujours la brigade canine, qui ne veut rien lâcher. Néanmoins, la partie est perdue, jamais il ne sera possible de revenir sur ces délinquants. Le véhicule banalisé de l’unité de sureté publique de Neuilly, poursuit sa route en suivant l’itinéraire de fuite, à distance, mais à vive allure.
Entre le pont de Levallois et le pont d’Asnières, débouche de l’allée Pablo Picasso, lancé à toute allure, sirène hurlante, le premier véhicule de renfort, de la brigade anti criminalité de Levallois, qui se positionne juste devant le véhicule de l’unité de la sécurité publique de Neuilly. La brigade anti criminalité qui soit-dit en passant connait parfaitement les lieux, circule à bord d’une 306 Peugeot, qui pour ce soir là, est un véhicule de remplacement. Quatre jeunes hommes sont à bord, un brigadier et trois gardiens de la paix. Ils se connaissent bien et sont de vrais professionnels de la délinquance. Cela fait à peine deux heures qu’ils ont pris leur service de nuit, et ils se lancent d’entrée dans la poursuite.
Quelque chose de malsain se profile, la tension est palpable, les pilotes sont nerveux. Les deux véhicules distants de 25 mètres, roulent entre 110 et 120 kilomètres par heure, voire plus, sur les quais, en direction du pont de Clichy. La brigade anti criminalité est au centre de la chaussée et l’unité de Neuilly juste derrière en décalage sur la gauche de la chaussée. Les deux véhicules viennent de passer la rue Fournier située à droite sur les quais de Clichy, quand soudain, un cyclomotoriste sur un véhicule de livraison de pizza débouche de la gauche des quais. Il remonte des contrebas du quai par une rampe de circulation, pour se remettre dans le flot et le sens normal de la circulation routière sur les quais de Clichy, en direction du pont d’Asnières.
Les personnels de la brigade anti criminalité sont nerveux, ils veulent absolument procéder à l’arrestation des malfaiteurs qui ont agressé la conductrice. Ils ont en fait très peu de renseignements sur les individus, aucune description précise des agresseurs, si ce n’est qu’ils ont enfourché des engins motorisés. Néanmoins, ils pensent sérieusement être en présence d’un d’entre eux. […] Sans perdre de temps et pour gagner en rapidité d’intervention, malgré la vitesse excessive, il tente le demi-tour au frein à main. Seulement voilà, le véhicule lui échappe totalement, il oublie dans le feu de l’action qu’il pilote un véhicule de remplacement, avec 150000 km au compteur, il en perd définitivement le contrôle. Le demi-tour est effectué, mais le véhicule continue sur sa lancée. La force d’inertie est telle qu’il glisse en crabe sur une dizaine de mètres, en traversant la chaussée, pour venir s’encastrer et s’enrouler avec une violence inouïe autour d’un platane situé à gauche des quais de la Seine.
Cette manœuvre demande quelques explications. Le conducteur du véhicule de la brigade anti criminalité a effectué le stage de pilotage, dit d’intervention rapide, il est évident, que pour lui, la technique du demi-tour au frein à main, se révèle l’ultime décision. Il arrive à la hauteur du point de sortie du jeune cyclomotoriste, et il décide de réagir instantanément, dont le but essentiel est bien évidemment d’aller rechercher celui qui part à l’opposé. En conséquence le demi-tour s’impose, comme il l’a appris, et travaillé. Il lâche les gaz, la main gauche est maintenue sur le haut du volant, il effectue un quart de tour de volant vers à droite, puis un quart de tour de volant vers la gauche, le tout dans la foulée. Au moment, ou la voiture est déséquilibrée, il tire le frein à main. La voiture part en glisse, il la redresse en positionnant le volant roues droites. La voiture pivote littéralement sur le train avant, comme un compas. Le fait de ramener le volant droit pendant la glisse permet de faire un demi-tour, pratiquement sur place. La vitesse est excessive ce qui entraine la 306 de la brigade anti criminalité, dans un dérapage incontrôlable, pour aboutir à ce que l’on sait. […]
Le 17 mars 2003, ma vie a basculé. J’ai perdu un être cher, un gendre, policier de son état, décédé dans des conditions particulièrement affreuses et troublantes sur les quais de la Seine à Clichy. Un drame bouleversant et déchirant.
Convaincu que toute la lumière n’a pas été faite sur cette affaire, il s’est lancé dans une croisade pour la vérité à la manière de Don Quichotte, d’où son livre - dont quelques passages sont disponibles sur le site de l’éditeur.
Il publie ainsi l’extrait d’un courrier daté du 15 novembre 2003 et adressé à la juge d’instruction contre laquelle il s’irrite après avoir apparemment révélé sans fioritures à sa fille accompagnée de sa belle-sœur les conclusions abruptes des rapports d’autopsie : « seul H… est tué sur le coup, C… et F… ne sont pas décédés immédiatement. Alors qu’il avait été dit à toutes les familles au lendemain de l’accident, que tous avaient été tués sur le coup. » Il évoque aussi dans sa lettre des pressions sur sa fille de la part de la hiérarchie policière suite à son désir de changer d’avocat, « une stratégie machiavélique à la limite de la paranoïa » selon lui. Il ajoute que « Des hommes exemplaires sont décédés dans l’exercice de leur fonction ; ils ont eu des honneurs au niveau national, ils ont été élevés au rang d’officiers et la Légion d’honneur leur a été décernée, il ne faudrait pas sous des prétextes fallacieux faire une récupération de cette affaire à des fins purement personnelles » avant de conclure : « nous avons tous été consternés, indignés, révoltés par l’événement, les mots n’auront jamais assez de force pour d’écrire la douleur ». Bien évidemment, comme le souligne la société d’édition, « Les propos tenus dans ce livre n’engagent que l’auteur ».
L’enquête
Comme le résume Le Parisien, l’enquête est rondement menée :
L'arrestation des suspects se fera en plusieurs temps. Quelques heures seulement après l'accident mortel, un adolescent de 17 ans est arrêté à la cité du Franc-Moisin, à Saint-Denis, par une patrouille de l'unité mobile de sécurité du 93 qui venait de découvrir le scooter gris. Passager supposé du scooter, l'adolescent était à ce moment en possession du sac à main dérobé dans l'Audi à Neuilly. Quatre jours plus tard, c'est le conducteur présumé du scooter qui frappe à la porte de la PJ des Hauts-de-Seine, à Nanterre, accompagné de son avocat. Il se savait recherché mais n'aurait pas, au début au moins, reconnu sa participation aux faits.
Restait celui que les enquêteurs considéraient comme l'acteur essentiel du drame : le chauffeur du cyclo de livraison, un deux-roues volé le même soir dans une cité voisine, à Clichy, et retrouvé abandonné à quelques centaines de mètres de l'accident. Bouleversés par la perte de trois des leurs, les policiers avaient secondé les enquêteurs de la PJ, en quête de celui qu'on avait d'abord décrit comme « blond peroxydé ». Deux mois plus tard, la police met la main sur un adolescent de 16 ans, habitant Clichy. Lui aurait juste essayé le cyclo volé par un copain… [16]
En juin 2005 s’ouvre le procès des deux mineurs au moment des faits. Même s'il est évident qu’il n'a jamais souhaité la mort des policiers, le conducteur du cyclomoteur, volé quelques heures plus tôt à un livreur de pizzas au pied d'une barre des quartiers Nord de Clichy, est poursuivi pour « vol en réunion, homicides involontaires et blessures involontaires avec incapacité supérieure à 3 mois suivis ou accompagnés d'un délit de fuite et de non-respect de la priorité ». Lors de ce procès à huis clos, le procureur requiert à son encontre 18 mois de prison dont 12 avec sursis. Contre son comparse, poursuivi pour « vol en réunion », le procureur réclame un mois de prison avec sursis. Finalement, le jeudi 28 juillet 2005, le tribunal pour enfants de Nanterre condamne les deux individus respectivement à six mois de prison, dont deux ferme, plus une contravention de cent euros, et huit jours avec sursis. Un verdict qui suscite l’ire des syndicats policiers d’autant que « La peine de prison ferme étant couverte par la détention provisoire, le garçon est reparti libre. Le passager […] reste néanmoins en détention provisoire pour d'autres affaires. » [17]
Le souvenir
Stéphane Montoya, unique survivant, a longtemps souffert dans sa chair et dans son âme après cette indicible épreuve. Nul ne peut imaginer les souffrances endurées au service des grands brûlés de l'hôpital Cochin ; gravement brûlé au visage, il a subi plusieurs opérations en matière de restauration faciale. Il a reçu durant son hospitalisation la visite de Nicolas Sarkozy. [18] Preuve de sa force de caractère, ce policier de 30 ans, « la tête recouverte de bandages blancs », est présent à la cérémonie organisée par le préfet des Hauts-de-Seine, Jean-Marc Rebière, pour inaugurer un mémorial en hommage aux défunts dans la cour de la préfecture au mois de mai 2003. [19] Aujourd’hui, Stéphane Montoya est apparemment encore dans la police : il n’exerce plus au sein d’une brigade anti-criminalité mais, après avoir passé le concours d’officier, serait maintenant capitaine de police, toujours dans les Hauts-de-Seine.
Fin 2003, François Lépée, responsable départemental du syndicat Alliance, confie dans les colonnes du Parisien qu’à Levallois, « L'ambiance est revenue à la normale, ils ont fait le deuil de leurs collègues. En plus, 30 à 40 % des effectifs du commissariat ont été renouvelés et ces jeunes stagiaires n'ont pas vécu le drame ». Il précise également que « Quelque temps après les faits, l'ensemble de la BAC avait été invitée à déjeuner Place Beauvau. A cette occasion, Nicolas Sarkozy a offert le choix des mutations aux fonctionnaires qui préféraient tourner la page de Levallois. Seuls deux anciens collègues des policiers décédés ont tenu à rester en poste. »
Pourtant, les familles et proches des disparus se réunissent chaque année sur les lieux du sinistre, autour du platane fatidique, seul moment pour resserrer des liens qui se distendent avec le temps, même si les anciens de Levallois n’oublient pas, n’oublieront jamais cette journée qui les a endeuillés. Le 17 mars 2010, une stèle est érigée à l’endroit de l’accident en l’honneur des trois fonctionnaires décédés, un hommage auquel ont assisté les familles et collègues des victimes, ainsi que de nombreux policiers, « en présence de Michel Gaudin, préfet de police de Paris, Nathalie Dellali, commissaire de police de Clichy, Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret, et Pascal Mazoué, élu à la Gestion de l’espace public, représentant le maire de Clichy. » [20]
Photo tirée du blog de Gilles Alexandre.
Et maintenant ?
Finalement, quels sont les points communs entre la tragédie de 2003 et le drame de 2013 ? La vitesse excessive et la vétusté du parc automobile policier.
Huit mois après le drame de Clichy, François Lépée, responsable du syndicat Alliance dans les Hauts-de-Seine, fulmine dans les colonnes du Parisien : « Rien n'a changé !, dénonce-t-il. Les voitures des brigades anti-criminalité sont dans un état toujours aussi lamentable. Des collègues roulent dans des véhicules qui ont 100 000 à 150 000 km comme à Sèvres ou Vanves, par exemple. » Or, voici ce qu’on lit dans les pages du quotidien gratuit 20 Minutes suite au drame de la BAC N 75 :
Des sources syndicales pointent du doigt la « vétusté » du parc automobile, indiquant que la voiture accidentée approchait les 150 000 km au compteur. « Oui, il y a un problème de renouvellement du matériel. Mais vu le choc, une voiture neuve n'aurait rien changé. Les individus étaient très déterminés », regrette Luc Poignant du syndicat Unité SGP Police-FO.[21]
Il est vrai que « La violence du choc a été telle que le coffre de la voiture a été pulvérisé. »
Néanmoins, les FordMondeo de la brigade anti-criminalité de Paris ou d’ailleurs – comme d’autres services de police - affichent quelques milliers de kilomètres au compteur maintenant puisque le contrat Ford a été rompu il y a déjà quelque années...
[1] Laurent Opsomer, « BAC N75 : la police en deuil » in Double Neuf, 24 février 2013.
https://doubleneuf.nordblogs.com/archive/2013/02/24/polic...
[2] « Lettre à Manuel Valls (par Marc Louboutin ex-lieutenant) » in Police, jeudi 21 février 2013.
http://police.etc.over-blog.net/article-lettre-a-manuel-v...
[3] « Au commissariat de Levallois, c’est le choc et l’émotion » in La Dépêche du Midi, 19 mars 2003.
[4] Fils unique, Cyril Farré est originaire de Tournefeuille, troisième ville de Haute-Garonne, selon La Dépêche du Midi, qui souligne que « La perte de cet être cher va meurtrir un peu plus une famille qui avait déjà payé un lourd tribut humain lors de l'explosion d'AZF: l'oncle de Cyrille, Michel Farré, 52 ans, chauffeur routier, étant une des trente-et-une victimes de la tragédie. »
[5] « Trois vies fauchées dans la course-poursuite de Clichy » in Le Parisien, 19 mars 2003.
http://www.leparisien.fr/faits-divers/trois-vies-fauchees...
[6] Intervention de Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, du 24 septembre 2003.
http://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-de-Nicolas...
[7] Il ne faut pas confondre le refus d’obtempérer (article L233-1 du Code de la route) et le délit de fuite (article L231-1).
[8] « Trois policiers tués dans une course-poursuite » in Le Parisien, 18 mars 2003.
[9] « Au commissariat de Levallois, c’est le choc et l’émotion » in La Dépêche du Midi, 19 mars 2003.
[10] « Trois policiers tués dans une course-poursuite » in Le Parisien, 18 mars 2003.
[11] « Le feu a pris en quelques secondes » in Le Parisien, 19 mars 2003.
http://www.leparisien.fr/hauts-de-seine/le-feu-a-pris-en-...
[12] Policiers français morts en service commandé
http://policehommage.blogspot.fr/2003/03/hubert-paris-florent-niel-cyril-farre.html
[13] Gilles Alexandre, Énigmatique mort de trois policiers sur le quai de Clichy, Société des écrivains, juillet 2008.
[14] Gilles Alexandre, « L’inacceptable, l’insoutenable » in Je témoigne sans vergogne et sans dissimulation, 22 septembre 2011.
http://alexandregilles-temoignages.blogspot.fr/2011/09/li...
[15] L'agachon vient du provençal « aga » qui signifie lieu d'où l'on guette, « agacha » que l'on traduit par « regarder », « guetter » et « agachoun » défini par « petite construction, abri du chasseur à l'affût ». En Provençal, « Agachon » signifie littéralement « affût ». Synonyme d'agachon: gabion sur l'étang (source : Grives.net).
[16] « La mort des trois policiers reconstituées » in Le Parisien, 13 novembre 2003.
http://www.leparisien.fr/hauts-de-seine/la-mort-des-trois...
[17] « Policiers tués en 2003 : prison pour deux mineurs » in Le Nouvel Observateur, 30 juillet 2005.
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20050728.OBS4640/p...
[18] « Sarkozy au chevet du policier rescapé » in Le Parisien, 12 avril 2003.
http://www.leparisien.fr/hauts-de-seine/sarkozy-au-chevet...
[19] « Ultime hommage aux 4 policiers de Levallois » in Le Parisien, 24 mai 2003.
http://www.leparisien.fr/hauts-de-seine/ultime-hommage-au...
[20] « Hommage aux policiers décédés quai de Clichy en 2003 » in Clichy événements, 19 mars 2010.
http://www.clichyevenements.fr/2010/03/hommage-aux-polici...
[21] William Molinié, « Une course-poursuite fatale à la BAC » in 20 Minutes, 22 février 2013.
http://www.20minutes.fr/paris/1105823-course-poursuite-fa...
21:42 Publié dans Perso, Sécurité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : police nationale, bac, brigade anticriminalité, course-poursuite, vitesse, accident, agression, mort, décès, chauffard, drame, tragédie, paris, clichy, levallois-perret, commissariat, 2003, 2013
Commentaires
Pour ce qui est du drame du 17 mars 2003, le dénommé Marc,[pseudo] a certainement été bouleversé, mais son témoignage est erroné, beaucoup d'incohérences, dommage ! vous référez à mon livre, tout est expliqué. Un Exemple : le motocycliste n'est pas arrivé de la droite comme il le dit, mais il est venu des quais par la rampe d'accès, mais à gauche. Son témoignage est peu crédible, il y a d'autres incohérences.
Écrit par : Alexandre | 10/03/2013
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